Sous la Ve République, le Président a toujours raison

La déchéance de la nationalité, très largement contestée, est maintenue dans le projet de révision de la Constitution. Par respect de la parole du chef de l’Etat, a expliqué Manuel Valls.

Michel Soudais  • 23 décembre 2015
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Sous la Ve République, le Président a toujours raison
© Photo: STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

Non content de proposer une modification de la Constitution sous état d’urgence afin d’inscrire cet état d’exception dans notre loi fondamentale, le gouvernement a finalement décidé d’inclure dans ladite modification la déchéance de nationalité pour tous les binationaux condamnés définitivement pour « crime contre la vie de la Nation » .
Cette mesure, « symbolique » de l’aveu même du Premier ministre Manuel Valls, « qui ne peut avoir d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme » , selon la Garde des Sceaux Christiane Taubira, et n’est d’ailleurs « pas une idée de gauche » (dixit le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis), avait été combattue par le PS en 2010. « Nicolas Sarkozy veut installer l’idée qu’il y a deux catégories de Français » , dénonçait alors fort justement son porte-parole. Elle fait toujours l’objet de nombreuses critiques à gauche.
Lire > Déchéance de la nationalité : une mesure de droite proposée par le PS

L’explication avancée par Manuel Valls pour justifier l’inscription dans la Constitution d’une mesure qui, si elle était votée, nous ferait passer, selon le Défenseur des droits, Jacques Toubon, « d’une République indivisible à une République divisible, (…) d’une citoyenneté indivisible à une citoyenneté divisible » , est aussi intellectuellement misérable qu’elle est éclairante sur nos institutions.
« A partir du moment où c’était un engagement du président de la République [pris devant le Congrès le 16 novembre] et que nous avions un avis particulièrement clair du conseil d’Etat sur la nécessité d’une réforme constitutionnelle, il ne pouvait pas y avoir d’autres solutions que l’adoption de cette mesure » , a justifié le Premier ministre, à l’issue du Conseil des ministres.
Ce que confirme, Christiane Taubira : « La parole première est celle du président de la République. Elle a été prononcée au congrès à Versailles. La parole dernière est celle du président de la République, elle a été prononcée ce matin en Conseil des ministres et c’est le point final. »
Ainsi, après l’annonce impromptue de François Hollande à Versailles, qui reprenait une mesure réclamée par le Front national et les durs de la droite, l’exécutif avait le choix entre deux maux : se dédire ou légitimer une proposition du parti de Marine Le Pen pour ne pas se contredire. C’est cette deuxième option qui a été retenue.

La primauté monarchique de la Ve République s’affirme ici crûment. Quoi que décide le Président de la République, ses ministres doivent l’exécuter et sa majorité l’approuver. « La cohérence et le respect de la parole du chef de l’Etat, qui incarne l’unité de la Nation, s’impose à tous » , a insisté Manuel Valls. Pour préserver l’image mythique d’un Président «père de la Nation», que les non-moins mythiques représentants du peuple ne sauraient contredire, l’exécutif et sa majorité sont disposés à reprendre les pires idées de la droite et de l’extrême droite. Prêts à diviser les citoyens en deux catégories pour obtenir une majorité au Congrès sur une réforme de la Constitution et rehausser ainsi l’aura du monarque élyséen.
Il est plus que temps d’en finir avec ce pouvoir personnel et cette Constitution qui le fonde.

Politique
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