Déradicalisation : Comment font les autres pays ?

La Grande-Bretagne et le Danemark expérimentent depuis plusieurs années des programmes antiterroristes.

Lena Bjurström  • 6 janvier 2016 abonné·es
Déradicalisation : Comment font les autres pays ?
© Photo : Akmen/Anadolu Agency/AFP

«Prévention », « détection », « déradicalisation »… En France, ces termes n’ont pris place que récemment au cœur de l’actualité, mais, dans d’autres pays européens, ils sont les mots-clés d’une politique antiterroriste instaurée depuis plusieurs années. Programme Channel en Grande-Bretagne ou « modèle d’Aarhus » au Danemark, ces politiques, dont la France affirme vouloir s’inspirer, n’en sont pas moins controversées. Souvent qualifié de « soft » ou de « social », le modèle danois repose sur un système de tutorat individualisé. Lancé en 2009, le plan de lutte contre la radicalisation, coordonné au niveau national par les services de renseignements intérieurs, s’appuie sur des programmes expérimentés de longue date au niveau local, notamment dans la ville d’Aarhus. Destiné à l’origine à contrer les gangs d’extrême droite, le dispositif, installé dès 2007 par la deuxième municipalité du pays, est coordonné par une équipe composée de policiers spécialisés et de travailleurs sociaux. S’appuyant sur un réseau d’alerte d’enseignants, de responsables associatifs et d’autres acteurs de terrain formés pour reconnaître les signes de radicalisation, l’équipe recueille les signalements de jeunes en fragilité et leur propose un suivi psychologique mené par un tuteur, qui, selon les besoins estimés, peut également les orienter vers une aide sociale pour accéder à une formation, à un emploi, ou à un logement.

Individualisé, adapté aux besoins des jeunes concernés, ce système de tutorat est également proposé à ceux qui reviennent de Syrie. Efficace ? Si trente habitants d’Aarhus sont partis pour la Syrie en 2013, ce chiffre est tombé à un en 2014 et à trois en 2015, affirme avec fierté la municipalité. Et sur les dix-sept jeunes rentrés au pays, dix ont accepté d’être suivis et sont en voie de réintégration. Si les résultats d’Aarhus sont encourageants, ils sont à prendre avec des pincettes. Car rien n’oblige les jeunes identifiés comme radicaux à accepter le programme, qui demeure fondé sur le volontariat. Ceux qui refusent restent sous la surveillance des services de renseignements intérieurs, lesquels travaillent en collaboration avec les équipes de déradicalisation. Lancé en 2012 sur l’ensemble du territoire britannique, le programme Channel, pas si différent du modèle danois, est plus largement critiqué par la société civile. Sur le papier, le principe est simple. Il doit « veiller à ce que les enfants et adultes vulnérables, de toute confession et origine ethnique, quels que soient leurs antécédents, reçoivent un soutien avant que leurs fragilités soient exploitées par ceux qui voudraient les voir embrasser le terrorisme », selon les directives gouvernementales.

Dans les faits, cela se traduit par un système de signalement et de tutorat, coordonné par les autorités locales et les services de police. Les enseignants, les services sociaux, l’administration, mais aussi des associations musulmanes impliquées dans le dispositif, signalent les personnes présentant des signes de radicalisation aux services de Channel. Après examen du cas par un panel d’experts, si la personne signalée est considérée comme présentant des signes de radicalisation, il lui est proposé d’être suivie par un acteur du programme : éducateur, psychologue, théologien ou encore ancien radicalisé repenti. Depuis 2012, plus de quatre mille personnes ont été signalées aux services du programme Channel. Est-ce pour autant un gage de réussite ? Si le gouvernement britannique assure qu’il a empêché nombre de jeunes de partir faire le jihad en Syrie ou en Irak, certains ayant été interceptés de justesse dans les aéroports, il a toujours refusé toute évaluation des résultats par une instance indépendante. Au-delà de la question des résultats, la politique de contre-radicalisation britannique contribuerait à stigmatiser la communauté musulmane. Car, si le programme est censé concerner tous les types d’extrémismes, il « cible essentiellement les jeunes musulmans, pour leurs opinions sur la religion ou sur des problématiques comme la politique étrangère du gouvernement », ont dénoncé début décembre des imams londoniens, soutenus par des syndicats d’enseignants et d’étudiants.

« Au Royaume-Uni, des étudiants de confession musulmane ont été dirigés vers ces programmes uniquement pour avoir participé à une manifestation pro-palestinienne ou milité dans des mouvements pacifistes », note une analyse du Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po [^2]. Des dérives dont la presse britannique se fait régulièrement l’écho, soulignant la définition imprécise des « signes de radicalisation » et le peu de compétences de ceux supposés les détecter. Depuis le vote d’une nouvelle loi antiterroriste en février 2015, les enseignants sont tenus de repérer les personnes « à risques » et, si nécessaire, d’alerter les services du programme Channel. Un travail « d’espion », décrié tant par les syndicats enseignants que par des représentants de la communauté musulmane. Après plusieurs années, les systèmes danois et britannique restent expérimentaux. Et revient toujours la même question. Comment repère-t-on une personne « radicalisée » ?

[^2]: « Vers un “multi-culturalisme policier” ? La lutte contre la radicalisation en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni », Francesco Ragazzi, les Études du Ceri n° 206, septembre 2014.

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