«Gagner la bataille des idées»

Le débat sociétal est devenu le lieu d’un défoulement altérophobe permanent.

Sébastien Fontenelle  • 28 janvier 2016 abonné·es

La presse comme il faut n’en finit plus, ces jours-ci, de réciter que « les “nouveaux réacs” ont gagné la bataille des idées ». Ce constat n’est pas faux du tout : il est parfaitement vrai qu’en effet notre cher and vieux pays s’englue depuis vingt ans (calculons comme ça pour aller vite), comme tout l’Occident, dans une droitisation générale où le débat sociétal est devenu le lieu d’un défoulement altérophobe permanent.

Mais, à un moment donné, il va quand même falloir dépasser le commentaire de cette évidence pour poser un peu nettement que ce déchaînement doit être envisagé dans un contexte beaucoup plus vaste que celui des vomissements quotidiens de quelques penseurs de médias (et autres marchands de haines) – et qu’il a, dans l’époque, une fonction précise.

Ce contexte, c’est celui de la victoire du capitalisme. Qui désormais règne partout. Et qui a un besoin vital, pour maintenir son emprise, de détourner l’attention de ses victimes – toi, toi, et toi, et toi – de sa brutalité intrinsèque. Longtemps, c’est le soviétisme qui lui a permis de se poser, par d’incessantes intimidations, en garant du bonheur de l’humanité, sur le mode discrètement binaire du : fais-confiance-à-Ronald-Reagan-ou-Leonid-Brejnev-mangera-tes-enfants. (Ne pas oublier, tout de même, qu’au mitan des années 1980, si t’osais seulement émettre l’opinion que la concurrence libre et non faussée pouvait elle aussi faire, non moins que des plans quinquennaux, quelques victimes collatérales, t’avais Jean-François Revel qui venait dans l’instant te traiter publiquement de propagandiste stalinien.)

Mais, après la chute du Mur de Berlin, il a été de plus en plus difficile (nonobstant que l’excellent Revel continuait de s’y essayer) de faire gober aux foules que des saboteurs moscovites se planquaient sous chaque bouche d’égout occidentale – et, tout d’un coup, les dégueulasseries du capitalisme ont failli devenir vachement plus voyantes. Depuis lors, ses réacs de service agitent, pour éviter que celles et ceux qu’il broie ne s’avisent trop de ses turpitudes (et comme ils brandissaient naguère celui du « péril rouge »), l’épouvantail d’une menace musulmane, ou d’une « invasion » de migrant(e)s, etc. Et c’est ce constant lâcher de vilenies xénophobes qui offusque (à bon droit) les nobles âmes de la presse comme il faut. Qui les fait s’indigner des dégueulasseries d’un Zemmour – puis déplorer, donc, qu’il ait, avec d’autres, « gagné la bataille des idées ».Mais les mêmes beaux esprits s’emploient par ailleurs, et dans les mêmes journaux, à garantir, par leurs incessantes exhortations à plus d’austérité(s), l’inexpugnabilité du système qui a précisément besoin, pour se perpétuer, d’entretenir ses sujets dans la peur de « l’Autre ».

En d’autres termes, ils dénoncent les aboiements racistes des chiens de garde, mais ils assurent et renforcent l’impunité de leurs maîtres – et ça ressemble d’assez près à du foutage de gueule.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes