Pour mieux combattre la fraude fiscale, les effectifs sont insuffisants

TRIBUNE. Les suppressions d’emplois dans les services de contrôle fiscal compromettent toute politique ambitieuse contre la fraude.

Vincent Drezet  • 25 janvier 2016
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Pour mieux combattre la fraude fiscale, les effectifs sont insuffisants
© Vincent Drezet est secrétaire général du syndicat Solidaires Finances Publiques. Photo : FRÉDÉRIC CIROU / ALTOPRESS / PHOTOALTO

La fraude fiscale représente un manque à gagner annuel de 60 et 80 milliards d’euros en France, un montant équivalent au déficit budgétaire de l’État.

Elle prend diverses formes :

La fraude internationale concerne par exemple la fraude à la TVA intracommunautaire (dont le fameux «carrousel»), les manipulations de prix de transfert, les sociétés écrans et plus largement, les montages sophistiqués utilisant les régimes fiscaux dits «privilégiés»… La liberté de circulation des biens et des capitaux, les «paradis fiscaux et judiciaires», le numérique, l’ingénierie financière et fiscale ou le manque de coopération constituent des facteurs qui favorisent son développement.

La fraude nationale, alimentée par ; la hausse de la part du travail non déclaré dans l’économie nationale (environ 10 % du produit intérieur brut), le détournement des régimes fiscaux dérogatoires, les logiciels frauduleux, la fraude à la TVA (non déclarée, déduite à tort etc), la non-déclaration de sommes payées en liquide, la sous-estimation de la valeur du patrimoine etc.

1000 milliards d’euros dans l’Union européenne

L’ampleur de la fraude fiscale est connue, elle ne fait plus débat. En 2007, le Conseil des prélèvements obligatoires s’inquiétait déjà de l’importance de la fraude fiscale en France, tout comme les rapports parlementaires de ces dernières années. Le syndicat Solidaires finances publiques alerte régulièrement l’opinion et les pouvoirs publics. Au niveau international, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission européenne s’alarment régulièrement du niveau de la fraude fiscale, estimée à 1000 milliards d’euros dans l’Union européenne.

La population, échaudée par certaines affaires (HSBC, Cahuzac…), est consciente de l’ampleur de la fraude, payée d’une manière ou d’une autre par l’ensemble des citoyens (hausse du déficit et/ou des impôts payés par les contribuables honnêtes). Or, l’importance de la fraude et les moyens trop limités de la combattre contribuent à affaiblir le consentement à l’impôt, pilier de la vie en société. Les gouvernements successifs ont certes pris quelques mesures, mais qui n’ont porté que sur les moyens juridiques. Or ceux-ci, pour intéressants qu’ils puissent paraître sur un plan théorique, ne seront guère utiles si les emplois des administrations engagées contre la fraude fiscale (la Direction générale des finances publiques -DGFiP- et les douanes notamment) ne suivent pas.

Tout contrôle nécessite un(e) fonctionnaire

En la matière, le bilan des gouvernements de ces dernières années est désastreux. Alors que la fraude s’est accrue, plus de 3100 emplois ont été supprimés dans les services du contrôle fiscal de la DGFiP depuis 2010, essentiellement au sein de ceux assurant le «contrôle sur pièces» (mené du bureau) et la programmation, une phase décisive consistant à détecter la fraude et à sélectionner les dossiers en vue d’un contrôle. Au nom de la rigueur budgétaire, on favorise de fait les conditions d’un maintien à haut niveau de la fraude fiscale : un choix politique, économique et social totalement contre-productif.

L’Europe n’est malheureusement pas en reste : le fédération syndicale européenne des services publics a ainsi calculé qu’entre 2008 et 2012, 13,6 % des effectifs ont été supprimés dans les administrations fiscales de 30 pays européens. Au sein de l’Union européenne, la situation est telle que la Commission européenne elle-même (peu suspecte d’étatisme aigu…) recommande depuis une dizaine d’années d’étoffer les moyens humains des administrations fiscales et douanières.

Renforcer les effectifs de l’administration fiscale est donc un impératif en termes d’efficacité : si l’utilisation des technologies informatiques, régulièrement vantée par les pouvoirs publics, est une réalité de longue date dans l’administration fiscale, il n’empêche qu’au final, tout contrôle est en effet mené par un(e) fonctionnaire… Tout gouvernement qui ne développe pas une stratégie cohérente visant à renforcer l’ensemble des moyens (juridiques, matériels et humains) du contrôle fiscal ne peut en conséquence être véritablement crédible dans ses déclarations « anti-fraude ». Et ce d’autant plus que le décalage entre les déclarations et la réalité contribue par ailleurs à alimenter une crise politique dont on sait à qui elle bénéficie…

Temps de lecture : 4 minutes
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