« Fichage ethnique » sous-couvert de « mixité sociale »

La société d’habitations à loyer modéré Logirep, condamnée en première instance, comparaissait de nouveau devant la Cour d’appel de Versailles.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 5 février 2016
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« Fichage ethnique » sous-couvert de « mixité sociale »
© Photo : AFP / BERTRAND GUAY - Frédéric Tieboyou, 29 ans, un jeune salarié français de 30 ans d'origine ivoirienne, donne une conférence de presse au côté du vice-président de SOS Racisme Samuel Thomas, le 2 août 2005 dans les locaux de l'organisation antiraciste à Paris, après s'être vu refuser un logement social par l'organisme HLM Logirep au motif qu'il y avait "trop de Noirs" dans une tour de Nanterre pour laquelle il avait déposé un dossier.

Le 12 mai 2014, l’un des bailleurs sociaux les plus importants de la région Île-de-France était condamné pour «fichage ethnique». Un verdict peu courant, rendu possible grâce à une plainte déposée en 2005. Cependant, le tribunal correctionnel de Nanterre avait relaxé la société Logirep des poursuites pour «discrimination raciale» ; une décision à laquelle se sont opposées les deux parties civiles, SOS Racisme et La Maison des Potes. Ce vendredi 5 février, la société HLM a de nouveau été convoquée pour une audience à la Cour d’appel de Versailles. En première instance, le tribunal correctionnel de Nanterre avait requis une peine de 20.000 euros d’amende, et de 10.000 euros de dommages et intérêts à verser aux deux associations.

Le scandale commence lorsque Logirep fait savoir à Frédéric Tieboyou, d’origine ivoirienne, qu’il n’avait pas obtenu le logement social qu’il venait de visiter. C’était en 2005. Alerté par le motif invoqué, celui de la «mixité sociale», le jeune homme décide de contacter la société qui lui explique «qu’il est Noir, et qu’il y a assez de Noirs dans cet immeuble». «C’est alors que Frédéric vient me voir, avec l’enregistrement de cet appel», explique Samuel Thomas, alors vice-président de SOS Racisme. Après avoir rédigé une plainte en se constituant partie civile «pour être sûr que l’affaire ne soit pas classée sans suite », il décide de réclamer des sanctions non seulement pour discrimination, mais aussi pour «fichage ethnique», au côté de Frédéric Tieboyou. En parallèle de l’instruction, le vice-président de l’association antiraciste se rend au service logement de Nanterre et découvre des éléments qui peuvent incriminer le bailleur social.

Je m’aperçois alors que l’organisme tient depuis de nombreuses années des statistiques sur la proportion d’Antillais, d’Africains, de Maghrébins, de Portugais… présents dans ses immeubles. Dans le cadre d’une perquisition, des fichiers de demandeurs de logements sont retrouvés. Sur ces documents, les nationalités des personnes étaient indiquées, mais aussi leurs origines.

Aujourd’hui, l’ancien de SOS Racisme Samuel Thomas conteste l’arrêt des poursuites pour discrimination en tant que vice-président de La Maison des Potes : «La relaxe a été prononcée au motif que la commission d’attribution de logement qui a discriminé Frédéric Tieboyou ne serait pas un organe de Logirep, mais une commission autonome». Selon lui, l’enjeu de cet appel est double. Il s’agit non seulement de confirmer la condamnation de la société pour «fichage ethnique», décision à laquelle Logirep a également fait appel, mais aussi de prononcer ce qui serait une première peine pour discrimination. «Le fait qu’un organisme HLM soit tenté de priver qui que ce soit de son droit au logement en invoquant la mixité sociale, ce n’est pas possible», martèle Samuel Thomas.

Dans son rapport annuel publié le 28 janvier sur l’état du mal-logement en France, la Fondation Abbé Pierre (FAP) dresse ce même constat. Sous-couvert de mixité, les discriminations sociales ou «ethniques» se multiplient, notamment dans les procédures d’attribution de logements sociaux.

La Fondation rappelle que «c’est avec la loi d’orientation pour la Ville de 1991, que l’objectif de mixité sociale et urbaine fait son apparition dans la législation». Elle vise notamment à «favoriser la cohésion sociale, faire disparaître les phénomènes de ségrégation et assurer, dans chaque agglomération la coexistence des diverses catégories sociales». Si les objectifs invoqués sont louables, ils n’en restent pas moins instrumentalisés par les bailleurs sociaux, privant certains locataires de leur droit au logement, sans proposition alternative. La Cour d’appel de Versailles rendra son arrêt le 4 mars.

Société
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