Rachid Arhab : « La télé est un reflet des blocages de notre société »

Des quotas ne régleraient pas le problème, estime Rachid Arhab. C’est une réflexion politique et collective qui doit être menée.

Jean-Claude Renard  • 3 février 2016 abonné·es
Rachid Arhab : « La télé est un reflet des blocages de notre société »
Rachid Arhab Ancien présentateur du JT et ex-membre du CSA. Coauteur de Quatre nuances de France (Salvator, 2016).
© JACQUES DEMARTHON/AFP

Derrière lui, trois décennies de journalisme et six années au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Rachid Arhab a dirigé le service politique -d’Antenne 2, avant d’être le présentateur phare du JT de 13 heures de France 2, entre 1998 et 2000. Depuis fin janvier, après trois années durant lesquelles, en ancien membre du CSA, il n’a pas eu le droit d’exercer pour une chaîne sous la compétence du CSA, Rachid Arhab a retrouvé sa liberté. Aujourd’hui, il ambitionne de créer une chaîne franco-algérienne, sur le modèle d’Arte. Tout en gardant un œil avisé et critique sur le petit écran.

En 2008, vous présentiez une première étude sur la diversité. Comment s’est-elle mise en place ?

Rachid Arhab Quand je suis arrivé au CSA, il y avait un climat politique porteur, qui tentait de comprendre les émeutes de 2005. J’ai d’abord refusé cette étude parce que toute ma carrière avait consisté à refuser d’être le représentant de la diversité. J’avais aussi beaucoup de mal avec ce terme « diversité », qui, selon moi, est seulement valable pour la faune et la flore. J’ai finalement accepté, en me tournant principalement vers les sociologues, notamment Éric Macé, et en créant un baromètre qui contournait les difficultés – c’est-à-dire l’interdiction des statistiques ethniques – en mesurant non pas la réalité mais la perception, nous permettant de compter sans nommer.

Sept ans plus tard, le baromètre du CSA révèle des pourcentages identiques sur les catégories socioprofessionnelles et sur les origines. Que pensez-vous de cette non–évolution ?

Aujourd’hui, la notion de diversité n’est portée par personne. Le terme a disparu du champ lexical des politiques. On voit bien à l’écran une pointe de coloration, mais, globalement, on constate que ce fameux plafond de verre existe toujours pour beaucoup. Ça n’a aucune relation avec la réalité. Il y a même une inversion complète : les cols blancs, à l’écran, dépassent largement les 70 % !

La télévision n’est pas – et ne sera peut-être jamais – une représentation idéale de la société française. Finalement, on a là tout simplement le reflet des blocages de notre société. Il est presque impossible à un fils d’agriculteur, à un fils d’ouvrier ou à un fils d’immigré de devenir journaliste à la télévision. Parce qu’il n’a pas accès à l’enseignement ni aux diplômes qui lui permettraient de le devenir.

Les banlieues sont très représentatives de cette situation. C’est un territoire, selon moi, équivalent au territoire agricole. Ce sont des zones de non-droit, non pas comme l’entend l’extrême droite, avec ces fameuses zones où l’on ne peut pas entrer, mais des zones d’où l’on ne peut pas sortir.

Y aurait-il des sanctions, sinon des contraintes, à mettre à place ?

Instaurer des quotas ne réglerait pas toutes les questions, ou alors en apparence, parce qu’on afficherait des résultats visibles mais peu conformes à la réalité. Quant aux promesses des chaînes, elles restent toujours assez vagues. Ce sont des discours généraux et généreux ! Cela tient donc au fait qu’on n’a pas voulu imposer d’obligations législatives. Mais il aurait été délicat de cibler uniquement le secteur audiovisuel, de demander à la télévision ce qu’on ne fait pas ailleurs. D’où un compromis, avec des obligations relativement légères, fondées sur une certaine générosité et une autodiscipline… dont on voit le résultat.

Pour les chaînes publiques comme pour les chaînes privées ?

On peut observer que ce sont les chaînes privées qui sont en avance. À mon époque, quand on discutait avec le service public, on vous répondait : “Nous, on sait ce qu’on a à faire.” Le service public a toujours le sentiment d’être exemplaire et qu’on lui demande d’être exemplaire. On attendrait de lui qu’il soit naturellement meilleur élève. Il voudrait être dans une classe à part. En réalité, ça ne marche pas comme ça, on ne peut pas mesurer des élèves si chacun d’entre eux est dans une classe à part. Les systèmes contraignants ne sont pas toujours efficaces et ils ne peuvent l’être que dans un climat porteur. Or, on est dans une telle situation d’explosion maintenant, qu’on ne va pas se mettre à réfléchir sur la diversité. C’est trop tard.

La chaîne Numéro 23 a été sélectionnée, sous votre mandature, sur la diversité…

Au moment de sa sélection, je m’y suis opposé ouvertement. D’abord, parce que la notion même de diversité en tant que chaîne était contre-productive, c’était un signal donné à toutes les autres de ne plus chercher à travailler sur la diversité : c’était une chaîne ghetto qui allait faire le job.

Ensuite, le tour de table financier, auquel j’ai assisté, m’avait d’emblée persuadé que ce serait tout sauf une chaîne qui prendrait la défense de la diversité de la société française.

Personnellement, avez-vous eu des difficultés à faire votre place à l’écran ?

Il me semble que ce serait plus difficile aujourd’hui qu’il y a trente ans ! Non pas que la société était plus ouverte, mais peut-être plus égalitaire. Les choses pouvaient être vécues pour confirmer la règle. Aujourd’hui, on a besoin de règles pour confirmer les exceptions. J’ai donc connu quelques difficultés, qui n’étaient pas disproportionnées, mais j’ai toujours fait en sorte de ne pas me victimiser. Dans l’ensemble, ça pouvait être compliqué, il y avait des pièges à éviter, mais sans plus. Mon combat, ce n’était pas la diversité, mais d’être un journaliste comme les autres.

Finalement, quand Jamel Debbouze est invité à votre journal et qu’il dit « c’est Rachid Arhab, y a un problème ? », ne pose-t-il pas la bonne question ?

Je lui en ai beaucoup voulu à l’époque. Je me sentais déshabillé sur la place publique. J’avais l’impression que tout le travail que j’avais accompli depuis des années, qui consistait à être un journaliste comme les autres, s’effondrait. Tout d’un coup, il me mettait une djellaba !

Au fil des années, sur la durée, je me suis rendu compte que c’est lui qui avait été le sage, et combien il avait eu raison. Il a su dire, avec ses mots, une telle forme d’intelligence instinctive, en soulignant le problème, ce que beaucoup de personnes, à commencer par moi-même, n’exprimaient pas.

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