Non, les Prud’hommes n’ont pas coulé une usine de dentelle calaisienne

DESINTOX. En plein débat sur le plafonnement des indemnités aux prud’hommes, l’histoire a fait la une des médias, dans une version parfois tronquée.

Léa Esmery  • 8 mars 2016
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Non, les Prud’hommes n’ont pas coulé une usine de dentelle calaisienne
© Photo : PHILIPPE HUGUEN / AFP

Un fleuron de la dentelle calaisienne menacée de fermeture à cause d’une condamnation aux prud’hommes. Voilà une histoire cousue main pour les défenseurs de la loi El Khomri, qui prévoit un plafonnement des indemnités prud’homales au nom de la « sécurisation » des entreprises. Les journaux télévisés et la presse ne s’en sont d’ailleurs pas privés, accusant les cinq salariés concernés de couler leur boîte. Mais ce qu’omettent de préciser ces reportages c’est que les difficultés de l’entreprise Desseilles Laces sont aussi anciennes que son aversion pour les droits syndicaux.

Faillites chroniques

L’entreprise vole depuis 2010 de redressement en redressement. La direction actuelle, arrivée en 2011, a donc hérité d’une situation déjà explosive. Desseilles Laces est placée pour la troisième fois en redressement judiciaire l’année suivante. La PME sombre face à la concurrence chinoise, le tout assorti d’une baisse des commandes et d’un important impayé. Convoquée devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, elle est autorisée à continuer son activité sous réserve de licenciements. Elle décide de purger le secteur de la dentelle traditionnelle qui perdrait selon elle 85 000 euros par an.

En 2013, 9 salariés sont licenciés pour motif économique. Mais 5 d’entre eux décident de saisir le tribunal administratif de Lille qui leur donne raison et demande leur réintégration au motif que l’entreprise n’aurait pas proposé d’offres de reclassement à ces salariés. Le tribunal condamne également Desseilles à verser deux ans de salaires aux cinq salariés licenciés, ce qui représenterait entre 700 000 et 1 million d’euros à débourser pour l’entreprise, déjà bien mal en point.

Délégués syndicaux dans le viseur ?

La décision du tribunal administratif de Lille a été le point de départ d’une campagne médiatique visant à rendre responsable les cinq salariés syndiqués de la fermeture de leur entreprise. Mais le doute continue de planer sur les raisons véritables de leur licenciement. Si la direction affirme avoir respecté les règles ayant traits à la procédure de licenciement économique, maître Jean-Pierre Mougel, avocat des cinq salariés, pense que ceux-ci sont les boucs-émissaires d’une entreprise cherchant à camoufler ses problèmes de gestion… Parce qu’ils étaient syndicalistes. Sur les 9 salariés licenciés, 5 sont représentants du personnel et membres du comité d’entreprise, dont 4 membres de la CFDT et un de la CGT.

Il existe d’ailleurs un précédent. «Depuis 2004, un délégué syndical a été licencié à 7 reprises par les directions successives et réintégré autant de fois sur décision de la justice», raconte Isabelle Leroy, responsable CFDT du Nord-Pas-de-Calais.

L’avocat dit par ailleurs avoir obtenu la preuve, en consultant le registre d’entrée et de sortie du personnel, que les neuf licenciements correspondent à des emplois qui n’auraient jamais vraiment été supprimés. D’où le fait que le nombre de salariés dans l’entreprise soit toujours au nombre de 74, et ce, même après neuf licenciements.

Des allégations niées par Jean-Louis Dussart, PDG de Desseilles Laces. Contacté par Politis, il rappelle que le rapporteur du Tribunal administratif de Lille n’a retenu que l’absence de recherche d’offres de reclassement afin d’invalider le plan de licenciement. Il dit avoir respecté les critères imposés par la loi en cas de licenciement économique (l’âge, l’ancienneté, la famille) et assure que la négociation concernant les critères du plan de licenciement a duré six mois en tout. « Ces licenciements étaient une question de survie, affirme-t-il. Voilà pourquoi ils ont été validés par le président du Tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer, de même que l’inspection du travail et le ministère du Travail. »

Reprise sous condition

Ce qui risque surtout de faire couler Desseilles dans les prochaines semaines, c’est le chantage de l’investisseur chinois qui s’est dit prêt à reprendre l’entreprise, sous condition. Il refuse en effet de réintégrer les trois ouvriers qui en ont fait la demande.

L’entreprise Desseilles s’est vue accorder jeudi 3 mars par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer un délai supplémentaire de trois semaines avant sa mise en liquidation.

Travail Police / Justice
Temps de lecture : 4 minutes
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