Les oubliés de Tel-Aviv

On compte aujourd’hui plus de 45 000 demandeurs d’asile en Israël. En janvier 2012, avec la loi anti-infiltration, le pays fermait ses frontières avec l’Égypte, empêchant les réfugiés africains de rentrer sur son sol. Mais depuis les années 90, des milliers de migrants ont traversé le Sinaï égyptien.

Margaux Mazellier  • 21 avril 2016
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Les oubliés de Tel-Aviv
© Illustration : Réfugiés à Tel-Aviv, en février 2014 (Robert B. Fishman / DPA / dpa Picture-Alliance/AFP)

« Welcome to Africa ! » lance Gil, notre guide israélien, lorsque nous entrons dans les quartiers sud de Tel-Aviv. Voilà l’image que se font une partie des Tel aviviens de ce quartier, habité en grande majorité par des réfugiés et clandestins sub-sahariens : une petite Afrique. On compte aujourd’hui environ 45 000 demandeurs d’asile entrés illégalement en Israël. La majorité viennent d’Erythrée (environ 35 000) et du Soudan. On compte également parmi eux quelques Congolais. La plupart fuient la guerre civile ou la dictature mais seul un très petit nombre obtient le statut de réfugiés.

« La petite Érythrée », comme ils l’appellent ici à Tel-Aviv, est séparée du reste de la ville. Cette zone, la plus pauvre de la ville, est laissée à l’abandon par le gouvernement israélien et par une partie des habitants de Tel-Aviv. Une ségrégation spatiale qui irrite Oscar un Congolais qui vit en Israël depuis vingt-deux ans : « On aimerait que les demandeurs d’asile soient mieux répartis sur le territoire israélien. Évidemment ils sont tous concentrés au même endroit, on a l’impression qu’ils sont trop ! »

Une intégration quasi impossible

Depuis la loi « anti-infiltration » de janvier 2012 et la fermeture des frontières, il est devenu presque impossible pour un réfugié d’entrer dans le pays. Et, pour ceux qui sont arrivés avant, l’intégration est presque impossible. Bien que la plupart des pays européens reconnaissent aux demandeurs d’asile du Soudan et de l’Érythrée le statut de réfugiés et qu’Israël soit l’un des premiers signataires de la Convention des Nations unies sur le statut des réfugiés, ce dernier ne les a jamais accueillis et refuse de leur donner un quelconque statut officiel.

Pour avoir le statut de réfugié, les demandeurs doivent attendre parfois plus d’un an. Pendant ce laps de temps, ils jouissent d’une protection toute relative : le visa dit de « résidence temporaire » renouvelable tous les trois mois, qui ne les autorise pas à travailler et qui peut être révoqué à tout moment. Ils ne reçoivent aucune aide financière de l’État israélien. Or, pour arriver jusqu’ici, ces hommes et ces femmes ont parfois du payer plusieurs passeurs. Ils arrivent donc en Israël avec peu d’argent voire avec des dettes.

Se pose alors la question de l’accès au travail. « Ces gens ont faim. Et puisqu’on ne leur donne pas de travail ils se donnent du travail eux-mêmes », explique Oscar. Certains ouvrent par exemple une épicerie. Épicerie qui peut fermer du jour au lendemain puisqu’elle a été ouverte sans permis de la municipalité… D’autres travaillent au noir, en particulier dans la restauration et l’hôtellerie. « Le salaire légal minimum ici est de 25 shekels de l’heure (environ 6 euros). Mais l’employeur, s’il sait que l’individu est sans papier, peut très bien payer moins cher voire ne pas payer du tout ».

Une instabilité financière qui pousse certains de ces hommes et de ces femmes vers le chemin de la délinquance. Mais pour Oscar, la criminalité est avant tout le résultat de l’inaction du gouvernement : « Si on donnait aux demandeurs d’asile un permis de travail temporaire de trois ou six mois, une écrasante majorité d’entre eux sortirait de la criminalité, s’énerve-t-il, pourquoi des mères célibataires se tournent vers la prostitution ? Parce qu’elles n’ont plus le choix, elles doivent nourrir leur famille ! »

Un statut juridique quasi inexistant

Beaucoup de migrants arrivés en Israël ont demandé le statut de réfugié politique mais la majorité d’entre eux ne l’ont pas obtenu. Pour le gouvernement israélien, il ne s’agit pas pour la plupart d’entre eux de réfugiés politiques mais de migrants économiques : « Ce sont des gens dont la motivation principale est d’améliorer leur vie », explique Emmanuel Nahshon, porte parole du ministère des Affaires étrangères.

Pourtant, Mutassim, 29 ans, est plutôt venu ici pour sauver la sienne. C’est pour cette raison qu’il a quitté le Darfour, théâtre depuis 2003 d’un violent conflit entre l’armée du gouvernement et des rebelles armés. Installé depuis 2009 à Tel-Aviv, il préside aujourd’hui une ONG. Celle -ci défend le droit des réfugiés africains à vivre dans de meilleures conditions. « Ce sont des gens qui devaient partir de chez eux, ils ont fuit la guerre et les génocides. Ils ont le droit de vivre dignement en Israël, seule démocratie du Moyen-Orient », estime Mutassim, visiblement plein d’illusions, ou excellent diplomate… Selon Oscar, la vérification par les services israéliens des demandes d’asile, n’est pas faite de façon honnête : « Ils identifient les individus mais ne procèdent pas aux vérifications permettant de voir si les raisons avancées par l’individu sont compatibles avec le statut de réfugié. On dit qu’ils sont venus travailler. Mais si ils ne vérifient pas, comment peuvent-ils le savoir ? »

Un manque de reconnaissance juridique qui s’étend jusqu’à la deuxième génération d’immigrés, puisque les enfants dont l’un des deux parents est entré illégalement en Israël n’a pas la nationalité israélienne. Un système, jugé injuste par de nombreuses ONG, mais que le gouvernement actuel ne compte pas modifier. « Changer la loi risquerait d’encourager l’arrivée de nouveaux migrants, ce qui créerait des situations très compliquées ici », explique Emmanuel Nahshon.

L’obsession des « infiltrés »

En effet, le gouvernement n’a aucun intérêt à aider les réfugiés à s’intégrer au sein de la société israélienne. Au contraire : « Le politicien vous vend un projet de société. Quand il n’a pas un bon projet de société à vous vendre, alors il vous vend un produit qui marche toujours : la xénophobie ! ». Le racisme, un credo largement utilisé par l’actuel gouvernement de Netanyahou. En mai 2012, Miri Regev, l’actuelle ministre de la Culture israélienne, avait d’ailleurs comparé les migrants africains à un « cancer ».

L’élargissement de la loi « anti-infiltration » aux migrants africains, votée cette même année, s’appliquait à l’origine uniquement aux Palestiniens. Le but affiché ? Protéger le territoire israélien des possibles attaques terroristes. Aujourd’hui, le mot infiltré s’applique à deux réalités différentes : les « terroristes » palestiniens et les réfugiés africains. Le but du gouvernement est donc de susciter un climat de méfiance, de créer la peur de l’autre : « Quand tu ignores tout de moi tu peux facilement penser que je suis un bandit. Mais si tu me connais tu te diras, mais non c’est pas un bandit c’est un étudiant de mon université ou c’est mon voisin ! », commente Oscar.

C’est dans ce contexte que la société civile joue un rôle essentiel. Puisque le gouvernement bloque l’intégration des réfugiés, ces derniers se tournent vers des associations ou des ONG. Certaines leur permettent d’apprendre l’hébreu pour pouvoir faire les démarches administratives du quotidien et chercher du travail. D’autres versent des aides financières. L’actuel projet de loi qui oblige les ONG à rendre publique tout fonds reçu par des pays étrangers, a, entre autre, pour but d’entraver ce système d’aide alternatif.

Aujourd’hui, le gouvernement est en négociation avec le Rwanda et l’Ouganda. L’idée ? Envoyer dans ces deux pays tous les réfugiés africains actuellement sur le sol israélien. Toutes nationalités confondues. Avec quelle contrepartie ? Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères n’a pas voulu répondre à cette question…

Monde
Temps de lecture : 7 minutes
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