« Sur les cendres en avant » : Une comédie tout feu tout femmes

Avec Sur les cendres en avant, Pierre Notte réussit le pari d’une pièce intimiste entièrement chantée, où le vice et la vertu s’affrontent avec un art renouvelé de la facétie.

Gilles Costaz  • 27 avril 2016 abonné·es
« Sur les cendres en avant » : Une comédie tout feu tout femmes
© Giovanni Cittadini Cesi

Depuis longtemps, sans doute, Pierre Notte, l’auteur de Moi aussi je suis Catherine Deneuve et de Deux Petites Dames vers le Nord, tournait autour de cet objet théâtral difficile à mettre sur orbite : une pièce entièrement chantée. Des couplets surgissant en pleine action, des intermèdes musicaux plus longs que les scènes parlées, on en avait à foison dans ses œuvres précédentes : Notte se montre parfois au piano, donnant lui-même l’impulsion de ses spectacles et aimant toujours brouiller la frontière entre théâtre et cabaret.

Mais cette fois, avec Sur les cendres en avant, ça y est, il n’y a plus un mot de parlé, tout est chanté, textes, musique et mise en scène signés de Notte lui-même (Paul-Marie Barbier ayant pratiqué les arrangements musicaux et la pianiste Donia Berriri ajoutant en direct sa personnalité d’interprète nerveuse et enjouée).

Dans le genre, le modèle, ce sont les comédies musicales américaines et les films de Jacques Demy et Michel Legrand. Pierre Notte leur rend hommage, mais son humour est plus déjanté. C’est un auteur dont le travail est traversé par nos échecs sociaux, nos désastres intimes.

Les quatre personnages de Sur les cendres en avant, quatre femmes, ne vont pas bien. En premier lieu, elles habitent une maison qui a partiellement brûlé. Dans l’appartement de droite, se consume, si l’on ose dire, une femme pincée et rigoriste, parmi son mobilier -calciné. Dans -l’appartement de gauche se démène une femme beaucoup moins coincée : elle vit de la prostitution, mais pour la bonne cause, car elle doit nourrir sa jeune sœur qui habite chez elle. Sa voisine vertueuse lui en veut d’exercer ce vilain métier. Elles se chamaillent un peu.

Donc tout va mal. Et risque d’aller encore plus mal quand rapplique une femme armée d’une carabine. Elle veut tuer cette hétaïre avec qui son mari est venu passer du bon temps. Ça grogne, ça menace, ça pétarade, jusqu’à ce que les trois femmes comprennent qu’elles ont plutôt intérêt à se comprendre et à s’aimer. Elles vont épouser la même cause et se lancer dans une aventure commune. « Nous n’allons pas nous laisser abattre/Nous n’allons pas nous laisser emplâtrer/Sous les ruines de cette baraque/Nous allons relever nos manches et nous débattre… », chantent-elles en chœur. Après la pluie viendra le beau temps !

Il faut de la candeur, de la naïveté et de la joliesse dans une comédie chantée. Et surtout rien de militant, même si c’est un hommage et un appel à la solidarité. Pierre Notte joue avec ces clichés, ce côté deux sous de violette venu de notre vieille chanson populaire. Mais, sous les clichés, il y a la rage et nos malheurs bien contemporains.

Cet immeuble délabré n’est pas une maison de conte de fées mais nos HLM, nos barres d’immeubles. L’un des personnages se blesse à coups répétés d’épluche-légumes : c’est l’exemple d’une souffrance que l’on ne trouve pas dans les facéties traditionnelles. D’ailleurs, Pierre Notte fait de ce travers à psychanalyser quelque chose de très drôle. Déplaçant l’action sur les deux côtés d’un double décor qui n’est pas signé (est-il de Notte ? Il met en parallèle deux intérieurs, dont l’un est en ruines, l’autre pauvrement équipé), sa mise en scène est vive et les actrices chanteuses portées par la musique intime et la partition de l’auteur.

Le quatuor joue en douceur, lunaire, sans recherche d’effets. Chloé Olivères est la femme brûlée de l’intérieur avec une calme autorité dans l’inquiétude et l’éveil d’une conscience longtemps assoupie. Blanche Leleu est la voisine qui vend un peu son corps d’une manière à la fois -physique et éthérée. Juliette Coulon est la femme au fusil avec une drôlerie qui sait être touchante. Elsa Rozenknop a beaucoup de personnalité en fille revendicative.

Tout est ici discret et profond. Nous voilà à cent lieues des grosses machines avec leurs décibels et leurs rais de lumières à faire sauter tous les générateurs d’une centrale nucléaire ! « Écoutez la chanson bien douce », disait le poète. On préfère cette douce miniature, railleuse, rieuse et rêveuse.

Théâtre
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