Dernier round pour le glyphosate

Soupçonnée d’être cancérigène, la molécule active du Roundup est devenue l’objet d’une discorde scientifique autant que politique, au détriment de la protection de la population et de l’environnement.

Vanina Delmas  • 18 mai 2016 abonné·es
Dernier round pour le glyphosate
© Sebastian Willnow/dpa/AFP

À quelques kilomètres de Pau, les champs de maïs, ordinairement verts à cette période, arborent une drôle de teinte jaune. La cause : les épandages de glypho-sate. Cet herbicide puissant n’est autre que la molécule active contenue dans le célèbre Roundup, produit star de la firme Monsanto. En période hivernale, les agriculteurs mettent en place des couverts végétaux pour fixer les nitrates sur les terres, selon une directive européenne. Mais, au retour des beaux jours, ils pulvérisent à foison leurs terres de désherbant. Si ce produit est désormais interdit pour les collectivités et les jardiniers amateurs, le secteur agricole peut encore l’utiliser… pour le moment.

Les 18 et 19 mai, la Commission européenne et des experts représentant les États membres de l’Union européenne se réunissent pour décider de prolonger ou non l’autorisation du glyphosate, qui expire fin juin en Europe. Le dernier round d’une lutte opposant deux instances scientifiques reconnues. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée de coordonner les recherches sur le cancer, classe le glyphosate parmi les substances cancérigènes pour l’homme. Quelques mois plus tard, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ainsi que le BfR, l’institut fédéral d’évaluation des risques en Allemagne, choisie comme État membre rapporteur, concluent à l’inverse.

Cette opposition scientifique a semé le trouble chez les parlementaires. « Étant donné les inquiétudes qui subsistent sur le caractère cancérigène et de perturbateur endocrinien du glyphosate […], la Commission devrait renouveler son autorisation sur le marché pour une période de sept ans uniquement, au lieu des quinze proposés, et seulement à des fins professionnelles », a-t-il été mentionné dans un communiqué de presse en avril. Mais comment deux équipes d’experts peuvent-elles émettre des études aussi divergentes ?

Premièrement, les sources. Tandis que le Circ a déclaré s’être fondé sur un millier d’études issues du meilleur de la littérature scientifique, l’Efsa et le BfR ont complété ce panel par des études fournies par des industriels réunis au sein de la Glyphosate Task Force (GTF). Le jeu des lobbys dans les allées bruxelloises est connu, mais l’opacité entourant les données et le nom des experts de l’Efsa et du BfR nourrissent les soupçons. Le sérieux Corporate Europe Observatory (CEO) a souligné que certains de ces scientifiques étaient employés par des géants de l’agrochimie, tels BASF ou Bayer, et le commissaire européen à la Santé a réclamé la publication des quatorze études de toxicologie de la GTF. « Comment l’Efsa peut-elle donner un avis, alors qu’elle ne fournit pas les études et les données qui lui ont servi ? Au Circ, tout est public, et même lui n’a pas eu accès aux quatorze publications en question », tempête Michèle Rivasi, eurodéputée écologiste.

Deuxièmement, l’interprétation des données épidémiologiques. L’Efsa attribue les cas de cancer aux doses toxiques élevées administrées aux rats, et non à la cancérogénéité du produit. Pour faire simple, le lien épidémiologique entre glyphosate et cancer serait le fait du hasard. Au contraire, le Circ considère que, même si les effets sont isolés, ils sont bien réels et prouvent qu’il existe un mécanisme d’action entre le glyphosate et les cancers, notamment le cancer du sang.

Troisièmement, l’Efsa réfute la toxicité du glyphosate sur l’ADN, malgré les conclusions du Circ et les travaux indépendants de chercheurs brésiliens publiés en février dans la revue Chemosphere, qui mettent en évidence que le potentiel génotoxique peut dépendre du sexe des animaux. Les pommes de discorde sont là encore nombreuses et plus techniques, comme la différence des tests statistiques utilisés. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui fixe les « bonnes pratiques » en matière de toxicologie, a souligné que les deux tests étaient autorisés, mais que celui choisi par l’Elsa « n’apparaît pas parmi les tests les plus recommandés ».

L’ONG Générations futures a décidé de porter plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui et tromperie aggravée », comme cela a été fait en Allemagne et en Autriche. « Notre plainte se fonde sur l’examen des avis de l’agence allemande. On a analysé sa façon de travailler et nous estimons qu’elle a utilisé des moyens frauduleux et n’a pas hésité à violer les règles en vigueur », explique François Veillerette, directeur de Générations Futures. Des accusations qui ont nécessité de démonter une par une les allégations de l’Efsa, notamment grâce à un toxicologue et à un épidémiologiste allemands indépendants. « Il y a un véritable problème d’instrumentalisation de la science à des fins dirigées », poursuit-il.

Pour certains scientifiques, la bataille sur le glyphosate serait même un faux débat, car le véritable danger est ailleurs. Les équipes du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), notamment celle du Pr Séralini, travaillent depuis près de quinze ans sur l’impact des pesticides et des OGM sur la santé. Dès 2005, ils publient une étude affirmant que le Roundup est plus toxique que le glyphosate seul et est aussi un perturbateur endocrinien. En 2013, une étude comparant l’effet différentiel du glyphosate et des coformulants de dix Roundup différents sur des cellules humaines donnent les mêmes résultats. Précision primordiale : le glyphosate est la seule molécule à être testée pendant deux ans sur des rats avant la mise sur le marché. Les chercheurs du Criigen réitèrent l’expérience sur trois herbicides, trois fongicides et trois insecticides et montrent que, pour huit d’entre eux, les formulations globales sont 10 à 1 000 fois plus toxiques que les molécules dites actives. « L’évaluation des pesticides n’est apte à protéger ni les agriculteurs, ni les jardiniers, ni la population. Les tests toxicologiques sont dangereusement insuffisants et incomplets, ce qui explique en grande partie l’augmentation de nombreuses pathologies : cancers, malformations néonatales, troubles neuro dégénératifs…  », explique le docteur Spiroux de Vendômois, président du Criigen.

Des révélations soigneusement écartées par les décideurs. « L’attitude pertinente serait qu’il y ait un moratoire, que l’utilisation du Round-up soit interrompue et que l’Europe refasse des études pour confirmer les nôtres si nécessaire, affirme le professeur, qui dénonce à la fois cette « science du Moyen-Âge », la force des lobbies et le fait que les études toxicologiques soient considérées comme « secret industriel », ce qui empêche tout débat réellement contradictoire. « Mais ce serait accepter qu’on remette toute la toxicologie réglementaire en cause, ainsi que l’agriculture industrielle, qui n’est possible qu’en augmentant les intrants sans pour autant augmenter les rendements », poursuit-il.

Ségolène Royal a fait savoir que la France s’opposerait à la prolongation du glyphosate, mais, si elle est tout de même votée, les seuls recours possibles dépendront de la bonne volonté de chaque pays responsable de la validation du Roundup dans sa formulation complète.

Écologie
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