Libertés contre secret des affaires

La directive permettra de poursuivre les lanceurs d’alerte.

Dominique Plihon  • 18 mai 2016 abonné·es
Libertés contre secret des affaires
© Photo: Antoine Deltour, à l'origine du LuxLeaks à son procès (JOHN THYS / AFP)

Le 14 avril, le Parlement européen a voté à une large majorité en faveur de la directive sur le secret des affaires. Élaborée en toute opacité, à la demande et avec l’aide de multinationales françaises et étrangères, cette directive a reçu le soutien des droites européennes et de la plupart des sociaux-démocrates. Seuls les écologistes et la gauche unitaire européenne ont voté contre. Destinée à protéger les entreprises contre l’espionnage industriel, elle a un champ d’application excessivement large. Elle permettra par exemple l’ouverture de poursuites judiciaires contre les journalistes, les syndicalistes et les lanceurs d’alerte obtenant ou publiant des informations internes d’une entreprise, ou les salariés utilisant chez un nouvel employeur des informations acquises sur leur lieu de travail précédent.

Le comble est que les députés européens ont voté cette directive en plein scandale des Panama papers… qui n’aurait pas pu éclater sans l’intervention de lanceurs d’alerte et de journalistes ! Le récent procès d’Antoine Deltour, de Raphaël Halet (lanceurs d’alerte) et d’Édouard Perrin (journaliste) dans l’affaire LuxLeaks est la parfaite illustration des dangers de cette disposition. En s’appuyant sur cette dernière, le procureur a requis des amendes et des peines de prison de 18 mois contre les lanceurs d’alerte.

Le plus inquiétant est que cette directive aura des conséquences néfastes sur le bien-être des citoyens européens. Ainsi, dans le secteur de la santé, les entreprises pharmaceutiques seront confortées dans leur refus de divulguer les résultats de leurs expérimentations cliniques, au motif que ceux-ci relèvent du secret des affaires. Dans le domaine sanitaire, le secret des affaires permet à des entreprises de l’agroalimentaire, comme Monsanto, de ne pas publier les études toxicologiques du glyphosate, principal agent actif du Roundup, dont la toxicité et les effets cancérigènes sont fortement suspectés.

Cette directive constituera une véritable machine de guerre aux mains des multinationales. Les lobbys se sont coordonnés de part et d’autre de l’Atlantique pour que soit adopté un renforcement de la protection du secret des affaires. Leur stratégie est de compter ensuite sur la signature du Tafta pour verrouiller définitivement ces règles dans le cadre de la coopération réglementaire organisée par le traité. Les traités internationaux étant supérieurs en droit aux lois nationales, il deviendra très difficile aux futurs gouvernements de revenir sur ces règles liberticides.

Pour être adoptée, la directive doit être être approuvée par le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, prévu le 17 mai. Une coalition de 50 organisations syndicales et citoyennes européennes [^1], appuyée par une pétition ayant recueilli près de 600 000 signatures de citoyens européens [^2], demande l’abandon de ce texte.

Si la directive est adoptée, la preuve sera faite à nouveau que l’Union européenne se construit en plaçant l’intérêt des grandes entreprises et de leurs actionnaires au-dessus des droits des citoyens.

[^1] #StopTradeSecrets
[^2] https://act.wemove.eu/campaigns/les-lanceurs-d-alerte-en-danger

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