Avignon : Le monde brûle les planches

Les spectacles de Van Hove, Gosselin, Liddell, Lupa… composent un programme très contrasté, à la fois actuel et historique, mais aussi tourné vers le Moyen-Orient.

Gilles Costaz  • 29 juin 2016 abonné·es
Avignon : Le monde brûle les planches
© Photo : Jean-Louis Fernandez.

Un cheval attaché mais récalcitrant : tel est le symbole de la 70e édition du Festival d’Avignon, qui débute le 6 juillet. C’est ce que représente l’affiche confiée à l’artiste Adel Abdessemed, dont les œuvres seront exposées au cloître des Célestins. Au-delà du symbole, Olivier Py, le directeur, y voit une rencontre entre les spectacles invités et les mouvements de pensée nés ces derniers temps. « Chez beaucoup d’artistes, j’ai retrouvé ce sentiment que le “trop difficile” les emmenait vers tous les possibles, que les déceptions politiques leur faisaient créer des objets d’espoir », nous confie Olivier Py, qui s’inscrit parmi les metteurs en scène à l’affiche (il reprend ses versions des tragédies d’Eschyle).

Un certain nombre de créations reflètent en effet l’incertitude de réflexions politiques et les rébellions peu violentes qui sont apparues depuis quelques mois. Un spectacle comme Ceux qui errent ne se trompent pas, écrit par Kevin Keiss, mis en scène par Maëlle Poésy, fait preuve de prémonition. Sans le vouloir vraiment, la soirée conte la naissance d’un mouvement semblable à Nuit debout. Dans un pays démocratique, les bureaux de vote sont pris d’assaut. C’est une surprise. D’autant que les bulletins sont en très grande majorité des votes blancs. Vexé, le pouvoir essaie de transformer ce camouflet en victoire apparente, mais le -stratagème ne marche pas. Les gens se réunissent en petits comités silencieux et révoltés. Ensuite, la ressemblance avec l’actualité est moins grande : la répression devient plus fasciste que hollandiste !

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Les lecteurs de José Saramago auront reconnu là une adaptation libre de l’un de ses grands romans, La Lucidité. Construit à partir d’un roman portugais et repensé à travers l’air du temps, le spectacle de Maëlle Poésy et Kevin Keiss a été applaudi par un public debout au festival Théâtre en mai, à Dijon.

Toutefois, l’événement principal sera certainement Les Damnés, qui ouvre le festival dans la mythique Cour d’honneur. Beaucoup d’éléments sont réunis pour fasciner le public. Les Damnés,c’est le film de Visconti, dont Bart Van Den Eynde a adapté le scénario : l’histoire d’une famille de sidérurgistes allemands qui s’allie au parti nazi et prospère en même temps que les tueries, les persécutions et l’entrée en guerre. Ivo van Hove, qui se charge de la mise en scène, est un artiste belge dont raffole le public français depuis ses derniers spectacles, et surtout Vu du pont, d’Arthur Miller, couronné un peu partout. Enfin, c’est le retour de la -Comédie-Française, absente -d’Avignon depuis vingt-cinq ans, et qui s’est mise au service de ce directeur belge, l’un des metteurs en scène majeurs de notre époque. Avec, à l’affiche, les noms de Van Hove et d’artistes comme Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Didier Sandre, Loïc Corbery, Denis Podalydès, -Adeline d’Hermy, il n’y a déjà plus une place disponible pour ce spectacle. Il sera heureusement repris au Français, à Paris, dans un tout autre cadre.

Très attendu aussi, 2666, que Julien Gosselin a tiré du roman de Roberto Bolaño et que produit courageusement Le Phénix de Valenciennes : le spectacle est fort repéré car il dure, avec ses entractes, douze heures ! Il représente surtout une nouvelle génération, comme Jean Bellorini, qui vient avec sa version des Frères Karamazov. Des jeunes loups qui n’éclipsent par pour autant la brûlante Angelica Liddell, de retour avec Que ferai-je, moi, de cette épée ? Ni le profond Krystian Lupa, mettant en scène Place des héros,de Thomas Bernhard. Pour la danse, la Québécoise Marie Chouinard et le Belge Sidi Larbi Cherkaoui sont les invités principaux.

La programmation se tourne aussi vers le Moyen-Orient, avec les Syriens Al-Attar et Abusaada (Alors que j’attendais) ; -l’Israélien Amos Gitaï, qui prolonge les interrogations de son film Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat ;et l’Iranien Amir Reza Koohestani, dont Hearing tourne autour de la présence réelle ou supposée d’un homme dans l’internat des filles à l’université.

Interrogé sur les éventuelles différences de réaction entre son public et celui d’Avignon, -Koohestani nous a répondu : « La différence la plus importante est que mon public d’Iran vit dans la même société et que mes histoires se passent dans cette société. Aussi réagit-il de façon plus sensible à ce qui concerne sa vie et son environnement. Pour les autres spectateurs, l’histoire semble racontée d’un autre point de vue. Bien sûr, sa réception peut être différente. Car la matière même, c’est la géographie. Quand vous parlez aux -Iraniens, vous vous adressez à ce qu’ils pensent de leur vie et de leur cadre de vie. Mais, quelquefois, quelque chose se produit au-delà des mises à distance. Mon expérience me permet d’utiliser la notion de “perte de temps”. Quand un public non iranien assiste à une pièce qui représente un couple persan, il est en sympathie, comme notre propre public. Nous atteignons un point où le public, fait de différentes origines et de différents styles de vie et de culture, éprouve des sentiments identiques face à une situation spécifique. Ce n’est plus une question de différences, mais de similitudes ! Nous montrons aux uns et aux autres le témoignage de nos attentes. »

Le festival 2016, qui tend à refléter notre monde en ébullition, devrait être autant une confrontation Nord-Sud que l’éternel dialogue entre le passé et le présent.

Théâtre
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