Brexit : L’Europe sociale attendra

Le gouvernement saisit l’occasion du Brexit pour afficher une volonté de changer l’Europe, en annonçant des priorités qui laissent de côté la question sociale.

Michel Soudais  • 29 juin 2016 abonné·es
Brexit : L’Europe sociale attendra
© GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

Le Brexit ferait-il des miracles ? Quelques heures à peine après l’annonce du résultat du vote britannique au matin du vendredi 24 juin, François Hollande appelait dans une brève allocution à un « sursaut » européen. « L’Europe ne peut plus se faire comme avant », a souligné le chef de l’État, en assurant que la France serait « à l’initiative ». « C’est le moment de refonder et de réinventer une autre Europe en écoutant les peuples », renchérissait Manuel Valls quelques minutes plus tard. Pour mieux souligner la gravité de l’événement, l’Élysée annonçait dans la foulée la tenue d’un conseil des ministres extraordinaire l’après-midi. Et plusieurs consultations politiques avant le sommet européen des 28 et 29 juin : une rencontre avec les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat le vendredi ; des entretiens avec les chefs de partis représentés dans les parlements nationaux et européen le samedi.

Mais qu’entendent au juste le président de la République et son Premier ministre quand ils se mettent à « écouter les peuples » ? Avant toute consultation, François Hollande a souhaité que « l’Europe se concentre sur l’essentiel », qui tient à ses yeux en quatre points énoncés dans cet ordre : « La sécurité et la défense de notre continent pour protéger nos frontières […] _; l’investissement pour la croissance et pour l’emploi pour mettre en œuvre des politiques industrielles dans le domaine des nouvelles technologies et de la transition énergétique ; l’harmonisation fiscale et sociale pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties ; enfin le renforcement de la zone euro et sa gouvernance démocratique. »_ Vaste programme…

Toutefois, si certains ont pu croire que le chef de l’État renouait avec la promesse du candidat Hollande d’infléchir les politiques budgétaires conduites sous l’égide de l’Union européenne, Jean-Marc Ayrault s’est chargé de les déniaiser : « La question n’est pas l’austérité ou le social, a indiqué le ministre des Affaires étrangères au Parisien (25 juin). Nous avons une monnaie commune, l’euro, et dans la zone euro il y a des règles du jeu à respecter. Notamment deux engagements communs : faire en sorte que l’endettement ne dépasse pas un certain seuil et que les déficits ne dépassent pas 3 % du PIB. »

Après s’être entretenue avec François Hollande, Sandrine Rousseau, qui faisait partie de la délégation d’EELV, a eu « la désagréable impression que le temps de l’Europe sociale n’est pas encore venu ». « L’angle mort dans l’approche du Président et du Premier ministre est assurément la question sociale », ont noté également Pierre Laurent et les trois communistes qui l’accompagnaient. Eux jugent que « le temps est venu d’une -refondation progressiste de l’Europe pour aller vers un nouveau traité de progrès social et écologiste ». Or, la France ne proposera « pas de nouveau traité » et n’envisage pas de toucher au traité de Lisbonne, « qui […] a rendu possible le traité budgétaire et qui provoque les politiques d’austérité », a déploré à sa sortie de l’Élysée un Jean-Luc Mélenchon « quelque peu consterné ». « Ce qui est à l’ordre du jour, c’est une agitation et des bricolages », a estimé le fondateur du Parti de gauche, qui n’a perçu dans les propositions de l’exécutif que « des aménagements dans ce qui existe déjà, sans qu’on n’ait bien compris en quoi cela serait de nature à changer ce qui se fait ».

Sans modification des traités, « l’harmonisation fiscale et sociale » évoquée par François Hollande est illusoire. Chimérique également la perspective d’un « même salaire minimum » évoqué par Manuel Valls dans un discours à Belleville-sur-Mer (Seine-Maritime), dimanche, devant 200 militants socialistes. Il était par ailleurs pour le moins cocasse d’entendre le Premier ministre expliquer, devant ces militants, qu’il faut « bannir le dumping social et fiscal au sein même de l’Union » au moment où lui-même impose à toute force un projet de loi qui, en autorisant les accords d’entreprises à déroger aux accords de branche dans des domaines clés de l’organisation du temps de travail et des rémunérations, ne manquera pas de créer des distorsions de concurrence au sein de l’espace national.

C’est encore le même Manuel Valls qui déclare benoîtement vouloir « refonder une nouvelle Europe en écoutant les peuples », mais refuse obstinément, depuis quatre mois, de retirer (ou de revoir) « sa » loi travail rejetée par une majorité de Français mais… réclamée par l’Europe.

Jean-Christophe Cambadélis est plus franc. Pour « faire barrage au nationalisme », le patron du PS invitait, dans un communiqué diffusé le 24 juin au soir, à « recommencer (sic) l’Europe » en concentrant l’action de cette dernière, « portée par un new deal écologique », sur quelques questions : sécurité face au terrorisme, modernisation industrielle, protection de la diversité culturelle. La question sociale n’était même pas citée.

« Recommencer l’Europe » ? L’expression est bien choisie pour signifier que rien ne changera vraiment puisqu’il s’agit d’abord de couper l’herbe sous le pied de la droite libérale et souverainiste.

Politique
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