Puisqu’il faut jongler

Avec Flaque, la compagnie Defracto poursuit avec talent son développement d’un jonglage graphique et chorégraphié.

Anaïs Heluin  • 1 juin 2016 abonné·es
Puisqu’il faut jongler
© Pierre Morel

Glissades et dérision. Banane à la main, tel est le programme qu’annonce Éric Longequel dès les premières minutes de Flaque, tandis que Guillaume Martinet fait mine de s’échauffer et David Maillard de vérifier les réglages de sa platine de mixage. Pas de quatrième mur qui vaille, pour la compagnie Defracto. Ni d’esprit de sérieux. Une fois ces principes bien exposés et la banane avalée, les trois artistes peuvent prendre possession de la scène délimitée par des bandes de gros scotch. L’air nonchalant, mi-rieur mi-ennuyé, chacun se met à son poste comme s’il n’avait pas le choix. Comme si vivre et jongler, c’était du pareil au même. Et puisqu’il faut bien s’y résoudre, autant s’affranchir des règles les plus contraignantes. Quitte à en inventer de nouvelles.

La compagnie Defracto n’est pas la première à faire évoluer le jonglage en imaginant des règles neuves. Récemment, Elsa Guérin et Martin Palisse l’ont fait dans Slow futur en s’imposant une structure qu’ils ont d’ailleurs mis du temps à apprivoiser. Un tapis roulant de huit mètres, sur lequel ils manient leurs balles dans une chorégraphie précise. Quasi-robotique. Dans Nuit, le collectif du Petit Travers déploie son écriture musicale dans l’obscurité et avec une balle mécanique. Éric Longequel et Guillaume Martinet remettent quant à eux en question les codes de leur discipline sans passer par des dispositifs scénographiques complexes. Leur réflexion part du corps et y aboutit.

Dans un mouvement de table rase, les deux circassiens remettent en question les fondamentaux du jonglage. Ils s’amusent avec comme des enfants indociles. Parmi les jeux qu’ils déclinent avec un plaisir évident sur l’électro minimaliste de David Maillard, celui du bras mou tient une place centrale. Pourquoi contracter les muscles alors qu’une balle peut très bien être lancée et rattrapée par un membre aussi flasque qu’une peau de banane ? Par souci de dignité peut-être, contre le mépris dont ont longtemps été victimes les arts du cirque. Ou encore par simple commodité… Les pantomimes de la compagnie Defracto offrent plusieurs réponses possibles. Et surtout, elles montrent la richesse de la transgression de la posture habituelle du jonglage. Et par là, de toute désobéissance. Nourries de danse hip-hop et de butô, les prouesses dévertébrées des jongleurs sont une succession de trouvailles où les ratés deviennent les plus belles réussites.

Culture
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