Racine, à la vie à l’amour

Anne Delbée rend un vibrant hommage à l’auteur de Phèdre et à la beauté du siècle classique. Baroque et absolu.

Gilles Costaz  • 8 juin 2016 abonné·es
Racine, à la vie à l’amour
© Emmanuel Orain

Anne Delbée n’a vécu que pour le théâtre, d’une manière assez folle. Elle a monté de façon obsessionnelle Racine et Claudel, participé à la résurrection de Camille Claudel, dirigé un centre dramatique, joué – en homme, comme Sarah Bernhardt – L’Aiglon d’Edmond Rostand, écrit des livres – sur Racine, notamment, bien sûr –, présidé le Syndicat national des metteurs en scène… Que n’a-t-elle fait, en étant à la fois soutenue par la profession et controversée ?

Aujourd’hui, avec la jeunesse et les subventions de l’État loin derrière elle, elle s’offre un défi qui n’est sans doute pas le dernier mais qui a quelque chose du chant du cygne : dire et jouer elle-même sa passion de Racine.

Ce moment d’amour tout à fait racinien s’appelle Racine ou la leçon de Phèdre. C’est un chant, un récital, un récit, un manifeste, un pamphlet, une leçon d’interprétation. Tout cela à la fois.

En habit d’homme – longue veste noire, chemise blanche sur laquelle se dessinent les bretelles de l’élégant d’autrefois –, les cheveux noués sur la nuque, Anne Delbée se jette non pas à l’eau mais dans le feu du cri intérieur et de l’urgence d’une vérité à partager. Elle brasse dans un même mouvement la réflexion sur l’art de jouer Racine, la pensée qui entoure l’écrivain (ce qu’en ont dit des poètes comme Claudel), la passion de Phèdre – et d’autres héroïnes –, la biographie de Racine l’orphelin, dont l’ambition le vengea de tant d’humiliations, et la beauté du siècle classique.

Anne Delbée n’a pas peur du pathétique, du baroque. Sur une scène étroite que prolonge un écran vidéo où passent des images d’enfant, d’une jeune actrice et de toiles de Philippe de Champaigne, elle est pantelante, passionnée, tend les bras, empoigne tel objet ou la robe noire de Phèdre. Elle dénonce une certaine manière tiède de dire les vers de l’ancien élève de Port-Royal et trace les lignes qui lient l’auteur à la grande histoire de la grande poésie et du grand théâtre.

A-t-elle raison de nous donner un extrait blues de Racine (avec, à ce moment-là, des lunettes noires à la Ray Charles) et un extrait rock ? Pas sûr, mais c’est un détail. Le tableau de Racine, dépeint à coup de formules ramassées et éclatantes, est plus juste que n’importe quel essai : c’est celui d’un homme éternellement blessé qui fut parfois un « tartuffe » (Anne Delbée emploie le mot) mais porta le culte de l’amour, de la langue et aussi de la religion au point le plus extrême. Le spectacle d’Anne Delbée est un instant d’amour fou à prendre ou à laisser. On prend !

Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes