Notre-Dame-des-Landes : Une détermination sans faille

Malgré la victoire du « oui » au référendum local, les opposants au projet d’aéroport ne désarment pas. Leur rassemblement annuel était placé sous le signe de la convivialité et de la motivation.

Patrick Piro  et  Vanina Delmas  • 13 juillet 2016 abonné·es
Notre-Dame-des-Landes : Une détermination sans faille
© Photo : JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP

« Alors, tu penses qu’ils vont évacuer la ZAD bientôt ? » Une question sur toutes les lèvres des milliers de personnes réunies les 9 et 10 juillet contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Et autant de réponses que de personnalités foulant l’herbe du lieu-dit Montjean. D’abord amicale : « Si c’est le cas, les paysans du coin encercleront les forces de l’ordre sans hésiter. » Ou naïve : « Je pense qu’ils ne prendront pas le risque car ils savent que des milliers de personnes soutiennent les zadistes. » Méfiante aussi : « Restons prudents, car l’ennemi ne fait jamais deux fois la même erreur. » Parfois dramatique : « Je crains que ce soit plus violent qu’en 2012 et qu’il y ait un mort, d’un côté ou de l’autre. » Et même (faussement) militaire : « On pourrait les accueillir avec des milliers de lance-pierres et des glaçons de peinture ! »

Deux semaines après la consultation publique qui a vu la victoire des partisans du transfert de l’aéroport Nantes-Atlantique sur la zone à défendre (ZAD), la détermination et la solidarité jaillissent de chaque prise de parole, de chaque geste. Intitulé « Semailles de démocratie », ce seizième rassemblement n’a cessé de s’interroger et de réfléchir sur les pratiques démocratiques et le modèle politique actuel, comme un pied de nez à ce référendum local « biaisé ».

« On ne pouvait espérer meilleure réponse à la consultation que cette mobilisation exceptionnelle », se réjouissent les organisateurs de l’événement. Plus de 25 000 personnes ont foulé les champs de Montjean, qui pourraient prochainement être transformés en piste d’atterrissage. Parmi eux, près de 10 % venaient pour la première fois. Pari gagné, la consultation n’a pas dévitalisé le mouvement. « Ça fait plaisir de voir beaucoup de jeunes, commente Micheline, une militante de la première heure. On sait qu’une nouvelle génération prendra la relève, c’est vraiment rassurant ! » Et le militantisme n’a pas d’âge. Faisant le tour du site dans un mini-camion rouge bardé d’autocollants « Climat en danger », des dizaines d’enfants ont donné de la voix tout le week-end pour dire « Non à l’aéroport », un slogan copieusement soufflé par leurs parents.

Une ambiance bon enfant mais également studieuse, puisque plus de quarante conférences et débats se sont enchaînés en deux jours, allant de témoignages d’agriculteurs peignant la difficulté d’instaurer un modèle alternatif à des pistes de réflexion sur la démocratie tantôt participative, tantôt « bafouée ». Deux militants ont proposé un atelier participatif pour étayer collectivement la notion même d’insubordination. Réunis par groupe de six, les participants ont pu proposer, selon leurs expériences individuelles ou collectives, leur propre définition de la désobéissance civile.

Une forme d’action non-violente qui sera certainement appliquée dans les prochains mois si le gouvernement met à exécution sa menace d’évacuer la ZAD avant le début des travaux à l’automne. Un ultimatum omniprésent dans les discussions autour de l’avenir de la ZAD. Juliette annonce que des formations à la désobéissance civile seront proposées tous les week-ends d’août à La Rolandière « pour être prêts » et « se coordonner » avec les autres habitants du site occupé depuis 2009. « La pire des choses serait d’attendre passivement que les forces de l’ordre viennent,alerte un zadiste, habitant la ferme de Bellevue depuis 2011. Et surtout, il ne faut pas s’attendre à une opération “César” bis (1)_. Il faudra réagir beaucoup plus fort ! »_

Personne ne croit à une intervention des forces de l’ordre cet été. L’Acipa, association historique en lutte contre le projet d’aéroport, précise que le préfet a demandé à rencontrer les élus en septembre. Et la ZAD verra sans doute passer de nombreux visiteurs pendant cette période. D’ailleurs, un nouveau rendez-vous est donné les 8 et 9 octobre pour une mobilisation nationale sur la zone. Une date stratégique car tout démarrage de travaux devra respecter la période hivernale, pendant laquelle on ne peut pas déplacer les espèces vivantes, selon les règles environnementales.

« Tous ces dossiers sont si techniques et compliqués qu’on en avait un peu oublié la nature », lance François de Beaulieu, membre des Naturalistes en lutte, lors de l’échange consacré à la « bataille des experts ». Il raconte comment, un jour pluvieux, des experts, des non-experts et des débutants se sont réunis pour parcourir la zone humide de Notre-Dame-des-Landes, à la recherche d’espèces protégées. Un travail de terrain également réalisé par les experts « officiels » du bureau d’études, mais qui n’ont pas toujours conduit aux mêmes conclusions. Même constat par Ivan Fouquet et Franco Fedele, de l’Atelier citoyen, qui ont mis en évidence la possibilité d’une solution alternative. « On nous a dit qu’on était des architectes en culottes courtes. Effectivement, nous n’avons pas fait d’aéroport, mais cela ne nous empêche pas d’étudier des documents, affirment-ils. Surtout que l’alternative est possible. D’ailleurs, il y a désormais un rapport officiel, réalisé par les experts de Ségolène Royal, qui confirme que Nantes-Atlantique peut être amélioré. » Une victoire pour l’expertise citoyenne.

Les affiches en noir et blanc appelant aux blocages, aux manifestations et aux occupations « en cas de démarrage des travaux ou d’expulsion » passent de mains en mains. Les militants les brandissent, signe de leur volonté de se battre contre le projet d’aéroport de Vinci mais aussi pour défendre leur mode de société expérimenté sur la ZAD.

Daniel et Tiffany s’expriment « depuis la ZAD » – et pas en son nom – lors du temps fort de la dernière journée « Notre-Dame-des-Landes, laboratoire de la démocratie ». « On n’est pas d’accord avec la démocratie !,lancent-ils d’emblée. D’abord parce que la démocratie, c’est la dictature de la majorité – les dominants – sur la minorité. On préfère parler d’auto-organisation car c’est un mot qu’on a choisi et qui permet une organisation multiple tout en laissant les initiatives spontanées possibles. » L’apprentissage réciproque de nouvelles pratiques démocratiques a soudé les différentes composantes du mouvement. « On participe aux assemblées générales sur la ZAD. Ce n’est pas toujours facile de prendre la parole mais on finit par y arriver », raconte un membre de la Coordination des opposants, qui regroupe aujourd’hui 58 associations. « On a appris au fil des années à préparer le consensus, et c’est vraiment ce qui nous relie tous ensemble », glisse Dominique Fresneau, de l’Acipa.

Quelques grands principes structurent cependant la vie en collectivité, soulignent Tiffany et Daniel : refus des armes, des violences, du sexisme, du racisme, du patriarcat. Chose rarement mise en évidence, la ZAD montre régulièrement sa capacité d’intégration sociale pour des personnes sous addiction à l’alcool ou en perte de repères, notamment en parvenant à résoudre les conflits et les tensions entre eux. « On n’a pas de loi sur la ZAD : tout peut se remettre en question à tout moment. Pas de flic, pas de justice, pas d’hôpital psychiatrique, donc on essaye de régler tous nos problèmes par nous-mêmes. En espérant que ça se passe bien », résume l’une des zadistes. Le « vivre-ensemble » s’expérimente au quotidien. « Nous nous organisons à l’échelle humaine. Voilà pourquoi nous ne croyons pas possible d’étendre cette expérience à la dimension d’une ville, par exemple. Nous n’aspirons donc pas à une “communauté mondiale unifiée”, mais plutôt à une multiplicité de communautés, partout, en lien et en tension les unes avec les autres », conclut Daniel. Un argumentaire finement construit et des témoignages précieux pour saisir la particularité de leur lutte. Des luttes.

Car la convergence des luttes n’est jamais bien loin des esprits. Seulement quelques jours après l’expulsion violente de la forêt de Mandres-en-Barrois, les opposants à la « poubelle nucléaire » de Bure, dans la Meuse, (voir p. 12) sont les invités d’honneur de ce rassemblement. La petite délégation a convié tout le monde à un sommet résistant les 16 et 17 juillet. « Non, il n’y a pas de résignation chez nous, mais des paysans et des citoyens qui tiennent face à une pression “de malades”,clame Johan_. L’Andra pensait avoir écrasé toute résistance, toute opposition, ils ont été très surpris. Venez-nous soutenir ! L’été dans une forêt, c’est un super plan de vacances ! »_ Ovation du public.Des membres du mouvement NO TAV, opposés à la ligne à grande vitesse Lyon-Turin dans le Val de Susa, ont également fait le déplacement pour raconter leur combat, notamment la répression féroce dont ils sont victimes de l’autre côté des Alpes.

Certains regrettent un peu « l’entre-soi » d’un tel événement, tandis que d’autres tempèrent en expliquant que, parfois, « on a besoin de se retrouver entre nous pour se remotiver ». D’autant que même en restant entre « anti », les divergences de points de vue existent et s’expriment, en particulier sur les modes d’action. L’irruption sur l’estrade d’une femme appelant à la lutte pacifique à la fin d’une intervention a fait sourire l’assistance, mais elle portait cependant un message cher à nombre d’entre eux.

À la sortie des chapiteaux abritant ces temps de parole, toutes les méninges en ébullition se détendent spontanément au rythme des batucadas brésiliennes improvisées. L’odeur des cochons grillés à la broche par les paysans du collectif Copain côtoie celle du couscous vegan ou des galettes de sarrasin au pesto du stand « Pan ! Pan ! Pends ton patron, t’auras sa galette ». Cuisine plus que locale puisque les légumes et le blé noir viennent tout droit des cultures de la ZAD. Comme dans une colocation géante, à ciel ouvert, chacun fait sa vaisselle après avoir fini son assiette. À la tombée de la nuit, tous les regards se tournent vers le ciel. Cinq cents lanternes sont lâchées, en hommage à Rémi Fraisse, tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 par une grenade lancée par un gendarme, à Sivens. Sur la scène, Hamon Martin Quintet entonne « Notre-Dame des oiseaux de fer », en chœur avec le public. Parfaite harmonie entre créativité, convivialité et militantisme.

Au coin du stand de l’Acipa, une douce musique surprend les tympans des plus mélomanes. « Monsieur le Président/Si vous me poursuivez/Prévenez vos gendarmes/Que je n’aurai pas d’armes/Et qu’ils pourront tirer. » L’orgue de Barbarie déroule une version de la chanson antimilitariste de Boris Vian, « Le Déserteur ». Mais à Notre-Dame-des-Landes, personne ne souhaite déserter la lutte.

LIRE >> Notre résumé des deux journées de mobilisation à l’occasion du rassemblement annuel à Notre-Dame-des-Landes :

• JOUR 1 : http://www.politis.fr/articles/2016/07/resume-de-la-premiere-journee-du-rassemblement-annuel-pour-notre-dame-des-landes-35084/

• JOUR 2 : http://www.politis.fr/articles/2016/07/resume-de-la-deuxieme-journee-du-rassemblement-annuel-pour-notre-dame-des-landes-35089/

Écologie
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