Shimon Peres : « Un infatigable intrigant »

Journaliste et militant pacifiste israélien, Michel Warschawski, rétablit ici quelques vérités sur Shimon Peres, qui vient de mourir à 93 ans.

Michel Warschawski  • 28 septembre 2016 abonné·es
Shimon Peres : « Un infatigable intrigant »
© Photo : ALAIN BENAINOUS / POOL / AFP

Le monde entier le célèbre, et on parle de lui comme d’un saint ou, pour le moins, un autre Nelson Mandela. Shimon Peres, qui vient de mourir à 93 ans, aura occupé la scène politique jusqu’au bout. Cette obstination à rester, envers et contre tout et tous, c’est la quintessence de la vie de l’ancien président de l’État d’Israël. Envers et contre tous, car pendant un demi-siècle, Peres a été le mal-aimé de la politique d’Israël. « Comment la punaise est arrivée au sommet ? », chantait-on déjà dans les années soixante, exprimant le mépris des élites israéliennes envers celui qui ne faisait pas partie du sérail. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui son accent trahit son extériorité, sa différence avec ceux qui ont façonné l’État hébreu à leur sale image.

Shimon Persky – c’était son nom avant qu’il prenne celui de Peres, qui signifie « vautour » – est né dans une famille bourgeoise d’origine polonaise. Il n’a pas grandi au Kibboutz ni participé aux aventures guerrières des commandos du Palmach. Alors que ses camarades de promotion faisaient la guerre, détruisaient la Palestine et expulsaient une grande partie de sa population, Peres était envoyé par Ben Gourion en Europe pour y acheter des armes pour les forces armées du nouvel État Juif. Dans la jeune élite israélienne, Peres a toujours fait figure d’outsider.

Europe, armes : comme directeur général du ministère de la Défense, Shimon Peres a excellé dans les deux. Il a su se faire apprécier des dirigeants européens, socialistes en particulier, et il a transformé l’armée israélienne d’une milice indisciplinée en une grande armée moderne. C’est d’ailleurs grâce à ses liens étroits avec le Parti Socialiste de Guy Mollet qu’il a pu faire de l’État d’Israël une puissance militaire, symbolisée par les Mirages des entreprises Dassault et leurs performances, en Juin 1967, pendant la guerre des Six jours. Symbolisée aussi par le nucléaire qu’il a obtenu de la France (Guy Mollet, encore lui) avant que De Gaulle ne mette fin a l’obscène histoire d’amour entre les deux pays.

Disons-le clairement, Peres n’a pas volé l’image négative qui l’a accompagné tout au long de sa carrière : aucun politicien israélien n’a su être aussi opportuniste que lui, et faire de la trahison un art. « Infatigable intrigant », c’est ainsi que le décrit dans ses mémoires Yitzhak Rabin, qui l’a côtoyé pendant de longues années a la tête du parti travailliste. Il a même trahi son mentor David Ben Gourion, quand il décidait de quitter le parti Rafi, réalisant que, malgré l’aura de son chef, cette formation dont il avait été à l’initiative, se révélait incapable de mettre fin à l’hégémonie travailliste. Ayant repris sa place à la direction travailliste, il quitte à nouveau ce parti pour le Qadima d’Ariel Sharon, qu’il abandonnera dès qu’il a senti le naufrage proche.

Mais sa plus grande trahison a, sans aucun doute, été le sabotage du processus d’Oslo. Or, ce sont Shimon Peres et les Peres-boys (Yossi Beilin en particulier) qui ont négocié la Déclaration de principes d’Oslo, et forcé la main du Premier ministre, Yitzhak Rabin, pour qu’il ratifie ce qui devait être le début d’une réconciliation palestino-israélienne. Quand Yigal Amir, influencé par les appels au meurtre de Benjamin Netanyahou, d’Ariel Sharon et des rabbins du Goush Emounim, assassine Yitzhak Rabin, Peres devient premier ministre intérimaire.

La droite est, un court instant, tétanisée par la conséquence sanglante de sa politique, et la majorité du peuple israélien est en colère. C’est le moment de poursuivre avec détermination ce qu’avait commencé Rabin. Peres fait exactement le contraire : n’ayant pas le courage de confronter ceux qui en tuant le premier ministre voulaient définitivement mettre fin au dit processus de paix, il déclare le gel des négociations pour mettre en place la réconciliation nationale. Ce faisant, il trahit Rabin, une fois de plus, et met définitivement fin au processus de paix, provoque la colère des Palestiniens qui s’étaient investis dans un processus qui faisait pourtant la part belle aux colons, et ouvre ainsi une période d’attentats sanglants qui ramènera la droite au pouvoir, pour y rester depuis lors.

Shimon Peres est le seul politicien israélien de premier plan qui n’a jamais été élu par le peuple, gagnant ses galons de ministre des Affaires étrangères, de ministre de la Défense, de premier ministre et, finalement, de président de l’État, dans des batailles d’appareil. « Moi, un looser ? », s’exclame-t-il un jour devant son parti. Oui, Peres était un perdant récurant chaque fois qu’il soumettait sa candidature aux choix des électeurs, que ce soit le peuple ou les élus. Quand il s’est présenté pour la première fois au poste de président de l’État, il a même réussi à se faire battre par Moche Katzav, un insignifiant député du Likoud, aujourd’hui en prison pour viol… Grand politique ? Disons plutôt que Peres était un politicard de la quatrième République, qui a su faire du mensonge un art, et excellait dans les manœuvres. Ce qui explique en partie pourquoi il n’était pas aimé par le peuple. S’il ne bégayait pas comme Levy Eshkol ou Yitshak Rabin, Peres n’a jamais été un grand orateur, comme l’ont été Menahem Begin ou, aujourd’hui, Benjamin Netanyahou.

Peres avait deux passions : la politique, bien sûr, et la lecture, qui faisait de lui un oiseau rare dans le paysage politique israélien où les politiques se contentent de parcourir la presse quotidienne pour évaluer leur degré de popularité. Il avait peu d’amis, mais la chance d’être entouré par deux femmes remarquables : son épouse Sonia et sa fille Tsvia Walden, infatigable militante pour les droits de l’homme et pour la réconciliation avec les Palestiniens.

Les media locaux et internationaux font déjà le bilan de l’action politique de Shimon Peres : comme directeur général du ministère de la Défense, dans les années soixante, il est non seulement à l’origine du nucléaire israélien, mais de la transformation de Tsahal en armée moderne et performante. Peu d’hommages par contre ne mentionneront le massacre de Kana au Liban en 1996, préférant s’étendre sur le prix Nobel de la paix, reçu pour son rôle dans les accords d’Oslo… qu’il sabotera trois ans plus tard.

À son crédit, on doit reconnaitre que la biographie de Peres n’est pas entachée d’affaires de corruption, de viols ou d’harcèlements sexuels, ce qui tranche nettement avec la classe politique israélienne d’aujourd’hui. Cela dit, et en dépit des couronnes de laurier qu’on lui tresse aux quatre coins du monde, l’ancien président de l’État d’Israël n’aura pas été un grand politique, mais un politicard manipulateur, devenu un des grand maîtres de notre temps dans l’art du mensonge et de la trahison.

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