Islande : « Mes priorités : la santé et la lutte climatique »

La députée Katrin Jakobsdóttir est pressentie pour devenir Première ministre, avec un programme écolo et social.

Patrick Piro  • 26 octobre 2016 abonné·es
Islande : « Mes priorités : la santé et la lutte climatique »
© Photo : Patrick Piro

Personnalité politique préférée des Islandais, Katrin Jakob-sdóttir, 40 ans, ancienne ministre de l’Éducation, de la Science et de la Culture (2009-2013), recueillait la confiance de 60 % des sondés, cinq fois l’audience de son parti, au lendemain de la manifestation du 4 avril dernier. Un contraste flagrant avec le leader du Parti de l’indépendance, le conservateur Bjarni Benediktsson, qui ne convainquait que 22 % des sondés, en deçà de l’influence de sa propre famille politique.

L’Islande se prépare à un changement radical de paysage politique. Quel est l’enjeu principal de ce scrutin ?

Katrin Jakobsdóttir : La crédibilité des politiques. Dans cette petite société déjà minée par le népotisme et la corruption, qui ont alimenté une immense déception vis-à-vis de la classe dirigeante, l’affaire des Panama Papers est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Que le petit groupe des plus riches ait recours aux paradis fiscaux est apparu insupportable aux citoyens. Avec la vaste mobilisation du printemps dernier, les Islandais ont voulu se libérer d’un poids, et ils se trouvent à un moment charnière de leur histoire politique. La campagne électorale s’est essentiellement focalisée sur la fraude fiscale, mais aussi sur l’environnement et, surtout, l’explosion des inégalités. La couverture de santé, par exemple, s’est considérablement dégradée depuis la crise de 2008.

Comment comptez-vous échapper au rejet par les citoyens de la classe politique ?

Personne ne peut prétendre être parfait, et nous avons reçu notre lot de critiques, justifiées, pour la période où nous avons gouverné avec les sociaux-démocrates, de 2009 à 2013. Cependant, nous n’avons jamais été assimilés à l’élite politique qui gouverne l’Islande à droite presque sans discontinuer depuis l’indépendance du pays, en 1944.

Quels reproches acceptez-vous ?

Des mesures insuffisantes sur le désendettement des ménages étranglés par l’explosion des remboursements de leurs emprunts immobiliers, mais aussi des compromis importants sur les dossiers écologiques. Nous n’avons pas été assez « verts ». Aujourd’hui, nous défendrons en priorité un plan de lutte ambitieux contre le dérèglement climatique.

Par ailleurs, nous n’avons pas obtenu la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires, promesse datant de la faillite du système bancaire en 2008 : nous devons faire aboutir ce projet. Nous voulons aussi conserver l’une des trois banques du pays dans la sphère publique, pour que l’État puisse conduire des politiques interventionnistes, comme une réforme de la politique du logement. Une banque d’État pourra apporter des garanties pour sécuriser des contrats de location actuellement trop précaires et aux loyers trop élevés pour les Islandais, en raison notamment du boom du tourisme.

Sur quels points vous retrouvez-vous sans difficulté avec vos alliés potentiels ?

La conduite à son terme de la réforme constitutionnelle rassemble toute l’opposition, tout comme la priorité donnée à la santé. Nous voulons tous changer le style de gouvernance vers plus de transparence et de démocratie directe.

Première ministre, quelles seraient vos mesures prioritaires ?

Un plan pour réhabiliter en six ans notre système de santé, où le secteur public a perdu beaucoup de terrain face au privé, excessivement cher pour les Islandais. Et je veux instaurer un véritable agenda pour la lutte climatique. C’est une formidable opportunité économique et sociale pour un pays aussi bien doté en énergies renouvelables. L’Islande a les moyens de devenir rapidement neutre en émissions de CO2. Pour cela, j’entends travailler avec tous les acteurs – syndicats, entreprises, partis politiques, société civile, etc. Je serai résolument pragmatique sur ce chapitre. Nous avons pris trop de retard.

Où comptez-vous trouver les sommes nécessaires à votre politique sociale ?

La pêche et l’énergie, les deux grands secteurs florissants de l’Islande, contribuent trop peu au bien-être de la société. Les professionnels de ces branches utilisent presque gratuitement des ressources du domaine commun. Nous allons taxer ces concessions.

Ensuite, nous lutterons contre la fraude fiscale – chaque année, l’équivalent du coût d’un hôpital. Nous instaurerons aussi un impôt sur la fortune. En Islande, 10 % de la population possède 75 % de toute la richesse. Ces mesures redistributives représentent un revirement politique crucial pour l’Islande.

Katrin Jakóbsdottir Présidente du Mouvement gauche-verts.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier