Les carnassières

Un beau jeu de massacre de Céline Champinot, qui malaxe la culture pop tout en dérision.

Gilles Costaz  • 12 octobre 2016 abonné·es
Les carnassières
© Photo : Aline Girard

Le mot « anthropocène », inventé par le chimiste Paul Crutzen pour parler de l’ère que la Terre traverse depuis la progression des industries destructrices, fait fureur. Au théâtre du Rond-Point, Frédéric Ferrer a commencé un cycle d’anti-conférences sur ce thème, Cartographies, avec un humour ravageur et constructif. Au théâtre de la Bastille, la jeune équipe LA gALERIE parle plutôt d’« anthropo(s)cène » pour bien montrer qu’on est au théâtre, mais on est dans le même esprit : comment croire encore au monde quand on transforme en poubelles la planète et nos idéaux ?

Vivipares (Posthume). Brève histoire de l’humanité – le titre veut peut-être trop en dire ! – est un texte en cinq temps de Céline Champinot, d’une inspiration déjantée qui paraît peu française et se rapproche d’une certaine dérision anglo-américaine. Dans une banlieue incertaine, cinq femmes aux orientations et aux appétits sexuels variés (l’une vit comme un homme, une autre « la haine dans le cul ») se passionnent pour l’histoire d’un certain David Bowie, amoureux d’un certain Charles Bukowski. Elles deviennent les protagonistes de cette bluette underground, où les deux personnages – qui n’ont plus grand-chose à voir avec les idoles qu’on connaît – ont un enfant handicapé. Il y a ensuite des meurtres et des résurrections. L’action part de France pour aller en Suède et en Suisse, où l’atmosphère est tout à fait russe…

Céline Champinot malaxe, à grands coups de mâchoires (c’est le terme qu’elle emploie quand elle parle du comportement de ses carnassières), nos morales, nos certitudes et nos références. Elle régurgite ce que la culture officielle et la culture pop ont tenté d’implanter dans nos cerveaux.

Cela donne un désespoir qui passe par une parodie permanente, mais aussi un chant personnel, une forte tendresse sous l’invective et l’ordure, qui se retrouve dans sa propre mise en scène et dans l’interprétation. Louise Belmas, Maëva Husband, Élise Marie, Sabine Moindrot et Adrienne Winling savent se montrer des démones mais aussi des êtres au cœur suspendu par l’émotion. En riant beaucoup à leur jeu de massacre, on sent en Céline Champinot une belle personnalité d’écrivain qui, para-doxalement, secrètement, aime aussi l’élégance de la langue.

Vivipares (Posthume), Théâtre de la Bastille, Paris, 01 43 57 42 14. Jusqu’au 19 octobre.

Théâtre
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