Pouria Amirshahi : « Les nouvelles lois sécuritaires pourraient servir un pouvoir autoritaire »

En arrière-plan des violences policières à Aulnay-sous-Bois, les députés ont approuvé à l’unanimité moins une voix, celle de Pouria Amirshahi, un projet de loi étendant les pouvoirs de la police.

Ingrid Merckx  • 15 février 2017
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Pouria Amirshahi : « Les nouvelles lois sécuritaires pourraient servir un pouvoir autoritaire »
© Photo : Samuel Boivin/Citizenside/AFP

Le 8 février, en pleine affaire d’Aulnay-sous-Bois, les députés ont approuvé un projet de loi de sécurité publique qui étend les pouvoirs de la police. Après les agressions contre quatre policiers à Viry-Châtillon en octobre et les manifestations policières qui ont suivi, ce texte entend assouplir les règles de légitime défense des policiers, durcir les peines pour outrage et autoriser l’anonymat des enquêteurs. Il a été voté dans un hémicycle clairsemé, à l’unanimité sauf une voix : celle de Pouria Amirshahi. Le député ex-PS avait déposé une motion de rejet préalable, au motif que ce projet de loi « tente de répondre, et de mauvaise façon, au mal-être des policiers dans l’exercice de leurs fonctions sans tenir compte du malaise grandissant à l’égard des policiers chez de nombreux citoyens ». 

Ce projet de loi dit de sécurité publique est arrivé en procédure accélérée à l’Assemblée au moment même des polémiques entourant la mort d’Adama Traoré et l’arrestation violente de Théo à Aulnay-sous-Bois. Malheureuse coïncidence ?

Pouria Amirshahi : Deux logiques se nourrissent. D’un côté, des violences policières ; de l’autre, une dérive sécuritaire entamée avec Nicolas Sarkozy sous Jacques Chirac et poursuivie par Manuel Valls sous le quinquennat de François Hollande. Après les morts de Zyed et Bouna, de Rémi Fraisse, d’Adama Traoré, puis le viol de Théo à Aulnay, il eût été plus juste de surseoir, plutôt que de légiférer dans l’émotion, afin d’engager un vrai débat national. Mais le gouvernement a préféré prolonger toutes ses intentions autoritaires déjà traduites à travers l’état d’urgence, les lois antiterroristes et sur le renseignement. La sacralisation d’une police mythifiée après les attentats a complètement aveuglé l’opinion et empêché toute discussion sur le contrôle de la police républicaine. Laquelle a largement dérivé vers une logique d’affrontement et d’interpellation directe quand elle devrait privilégier le dialogue, le respect et la médiation.

Selon le Défenseur des droits, Jacques Toubon, ce projet de loi risque de donner le « sentiment d’une plus grande liberté pour les forces de l’ordre alors que les cas prévus sont déjà couverts ». Était-il nécessaire ?

Non seulement ce texte est inutile d’un point de vue juridique, mais il constitue une faute politique grave. Le ministre de l’Intérieur a dit : « Cette loi répond à une colère – celle des policiers après Viry-Châtillon – et permet une reconnaissance du travail des policiers. » Mais une loi ne sert pas à récompenser le travail de nos agents ! Et la colère est mauvaise conseillère. Il n’y a pas de bonne politique sous le coup de l’émotion, a fortiori sous la pression d’une frange de policiers très déterminés. En outre, cette tendance est un échec depuis trente ans : les relations entre la police et les citoyens se sont détériorées. Les conditions de travail de la police aussi, qu’on croit compenser par une culture du suréquipement matériel. Et aucun bilan des mesures répressives n’a été réalisé. Cette loi est non seulement à rebours de ce qu’il faudrait faire, mais elle est l’expression du tournant néoconservateur du gouvernement : libéral sur le plan économique depuis 2012 et sécuritaire en matière de droits depuis 2014. Il réveille bien des démons en plein état d’urgence, où le juge judiciaire est débranché au profit du juge administratif.

La police possède aujourd’hui l’essentiel des pouvoirs d’inspection et de répression, ce qui favorise le développement d’un sentiment d’impunité chez certains policiers. Les plus fragiles d’entre eux se croient autorisés à tous les dérapages. Cela nuit à l’image de la police républicaine et cause du tort : discriminations humiliantes, jusqu’au viol, torture, meurtre… C’est dans l’intérêt de la police de constater ces dérives et d’y apporter des réponses, et dans l’intérêt général de citoyens de demander des comptes. La loi votée aggrave les irresponsabilités : on anonymise l’action des policiers sur simple prescription de la hiérarchie, on étend les possibilités de tirs à vue, alors que le code pénal consacre déjà le droit de la légitime défense. Elle durcit encore les sanctions pour « outrage » ou « rébellion ». Elle est le symptôme d’une maladie très française du pouvoir : on confond la République avec l’ordre alors que la République, c’est d’abord la défense des droits et des libertés.

Quelles solutions entrevoyez-vous ?

Il faut revoir l’encadrement général de la police, de la formation jusqu’à la chaîne de commandement. En Angleterre, la hiérarchie policière est seule habilitée à donner des ordres. Aucun ordre ne vient de politiques. La police de Londres n’est pas armée et il n’y a pas plus de meurtriers dans cette ville pour autant. On peut être dans des relations apaisées et de médiation. Des associations et le Défenseur des droits réclament la délivrance de récépissés lors des contrôles d’identité. Surtout, il faudrait engager un grand débat : avec Noël Mamère, j’ai écrit à Claude Bartolone, président de l’Assemblée, pour qu’il saisisse Jacques Toubon afin que celui-ci soit missionné sur le maintien de l’ordre en France, la stratégie d’encadrement et de contrôle de la police, avec un volet de comparaison européenne.

En plein état d’urgence, avec la loi sur le renseignement et les nouvelles lois sécuritaires, et à trois mois d’une échéance présidentielle, on est en train de créer un monstre juridique qui pourrait, demain, servir les pires intentions d’un pouvoir autoritaire. Le Front national les a toutes votées…

Comment comprendre que cette loi soit passée dans un tel silence ?

Une chape de plomb fige la démocratie, la peur gouverne les esprits. Il ne faut pas se taire sur ces sujets. Les dérives policières, qui ne concernent pas tous les policiers, entachent toute la police. Je trouve sain que les citoyens des quartiers qui vivent la ségrégation d’abord à travers le racisme relèvent la tête et disent : « Stop ! » Je fais le pari que des policiers vertueux prendront la balle au bond. Les cadres de la police ne devraient pas hésiter une seconde devant des dérives telles qu’à Aulnay. Quant au pouvoir politique, s’il est trop faible avec la police, c’est le début de tous les dangers. Pourquoi avoir peur de dire qu’il faut pouvoir contrôler la police ? C’est le b.a. ba de toute démocratie.

Pouria Amirshahi Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France.

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