Santé : Les femmes et les enfants d’abord ?

Les centres de PMI de Gennevilliers voient leurs moyens se réduire. Au détriment de l’universalité de ce service public.

Ingrid Merckx  • 1 mars 2017 abonné·es
Santé : Les femmes et les enfants d’abord ?
© Photo : AMÉLIE-BENOIST/BSIP/AFP

La sieste est terminée. Des « petits » (première année de maternelle) sortent encore ensommeillés du dortoir et se dirigent à moitié rhabillés vers les toilettes. La directrice de l’école passe une tête dans le couloir pour accueillir le Dr Julie Etcheberry et lui dire qu’elles se verront après les bilans de l’après-midi. « À Gennevilliers, ces bilans sont proposés aux enfants de 4 ans de cinq écoles par les centres municipaux de protection maternelle et infantile (PMI), explique ensuite ce médecin à la mère de la fillette qui attend dans une pièce claire, à l’autre bout de l’école. Nous allons aborder plusieurs sujets. Interrompez-moi si vous avez des questions. » La petite est installée devant une table avec des feutres et une feuille. « Tu me laisseras ton dessin, Nora ?, demande le docteur. Tu pourras en faire un deuxième après. » Zakia Benghellab, auxiliaire de puériculture, s’accroupit derrière la fillette : « Il est beau, ton bonhomme ! »

Le médecin dispose des fiches sur la table. Assise en face, la mère regarde tantôt sa fille, tantôt le médecin. « Quelle est votre profession, madame ? Celle de votre mari ? Parlez-vous plusieurs langues à la maison ? Avez-vous des problèmes de santé à signaler dans votre famille ? Pas de maladies génétiques ? » Le Dr Etcheberry feuillette le carnet de santé. « Je n’ai pas de traces de consultation depuis 2014. Nora était suivie en PMI bébé. Et ensuite ? » La mère explique que sa fille est allée une fois à l’hôpital : alors qu’elle commençait à marcher, elle a attrapé une tasse de thé. Le liquide brûlant lui a laissé une cicatrice dans le cou. Nora a dû aller voir un médecin une fois ou deux depuis, peut-être n’avait-elle pas pris son carnet, elle ne se souvient plus…

« Même si tout va bien, il faut que votre fille voie un médecin au moins une fois par an, ne serait-ce que pour vérifier son poids, sa taille, son développement général et prendre des ordonnances de vitamine D, rappelle Julie Etcheberry. Je vais vous donner l’adresse du centre municipal de santé (CMS) et les coordonnées de généralistes et de pédiatres. »

Gennevilliers n’est pas un désert médical, mais les médecins libéraux sont saturés. « Nous n’avons pas le temps de faire de la prévention », a résumé le Dr Titi, pédiatre, lors d’une conférence de presse organisée le matin même à la PMI Timsit. Ce 20 février, le personnel de l’établissement, le maire, Patrice Leclerc (PCF), et la conseillère départementale Front de gauche Elsa Faucillon veulent alerter sur le détricotage des soins préventifs dans les Hauts-de-Seine et les menaces qui pèsent sur les quatre centres de PMI de Gennevilliers – deux départementaux et deux municipaux – et les centres de planification. « Les médecins de PMI dépistent les problèmes d’audition, de vue, de langage, mais aussi des troubles comme les cas d’asthme et d’autisme, qui augmentent », s’alarme le Dr Titi.

D’où les réseaux tissés entre PMI, médecine de ville et Éducation nationale. Comme un filet de protection. À Gennevilliers, ce filet est particulièrement efficace grâce à des décisions prises il y a plus de vingt ans. Les indicateurs de santé étaient alors très en deçà de ceux de la plupart des villes des Hauts-de-Seine. « Les taux de couverture sont calculés en nombre de médecins, de sages-femmes et d’auxiliaires de puériculture par mère et par enfant, explique Charlotte Serrano, médecin à la PMI Timsit. Gennevilliers a été surdotée en réponse à ses besoins. » Les indicateurs de santé ont progressé, mais, en 2013, la différence d’espérance de vie entre Gennevilliers et Neuilly était encore de cinq ans.

Dans les deux PMI départementales, le nombre de puéricultrices a baissé de 9 à 4,5, le nombre d’auxiliaires de puériculture de 10 à 5, un poste de psychologue a été supprimé, ainsi que quatre heures de vaccination. Les deux PMI municipales redoutent une fermeture. Leur conventionnement avec le département a été reconduit in extremis pour 2017. Que se passera-t-il en 2018 ? Les Hauts-de-Seine doivent fusionner avec les Yvelines, où le nombre de PMI a fondu de 55 à 22. Et le département prévoit de « resserrer l’activité des PMI sur les familles vulnérables » et de regrouper ses différents services médico-sociaux – DASS, ASE, PMI – dans un même immeuble, comme à Châtenay-Malabry.

Sauf que la raison d’être des PMI, c’est la proximité : « Les mères qui viennent -d’accoucher se rendent en PMI avec leur nouveau-né quand c’est en bas de chez elle », observe Julie Etcheberry. Elles sont aussi le seul service public à proposer des visites à domicile. « Les dépressions du post-partum, les violences et les handicaps ne se rencontrent pas que dans les familles pauvres », lâche le médecin. « La charité, ça n’est plus la solidarité, et ça n’est plus un service public », commente Elsa Faucillon, lors de la conférence de presse. « Un service “pour les pauvres” s’appauvrit et finit par fermer », poursuit-elle. Plusieurs centres de PMI du département ont déjà réduit le « bilan des 4 ans », désormais réalisé par une puéricultrice seule et sans les parents. « Elle est aussi compétente que le médecin, précise le Dr Etcheberry, mais la présence des parents est indispensable. Ce qui se perdra, c’est l’œil médical. »

Le médecin demande à Nora de compter ses feutres et le nombre d’enfants chez elle, puis de répéter les prénoms des sept nains et ceux de petits Indiens : « Zulseu, Otrudiré, Meunulivou… » Nora répond vite et avec aisance. Idem pour décrire une image où deux enfants se brossent les dents. « Bilan facile, souffle le médecin. Comment Nora se lave-t-elle les dents ? » La mère bredouille : le soir, pas tous les matins… Le médecin embraie : les dents de lait peuvent se carier, et la carie s’incruster dans la dent définitive. Elle attrape son otoscope pour vérifier les dents et les tympans. Puis Zakia sort les « lunettes de pirate », dont un œil est caché, et Julie Etcheberry va se poster en bout de table. Nora doit montrer sur des fiches devant elle les lettres qu’elle reconnaît sur les fiches tendues en l’air.

La fillette s’applique, mais, quand l’œil droit est caché, elle ralentit. « Nora ! », encourage sa mère. La petite hésite. « Elle ne voit peut-être pas très bien, dit le médecin. On va essayer l’autre œil. » Nora reprend l’exercice avec facilité. « Aucun problème avec l’œil droit. Mais 6 sur 10 à l’œil gauche. Elle va avoir besoin de lunettes. » Le médecin indique les coordonnées d’un ophtalmologue. « Vous pouvez aussi aller au CMS. À quelle heure Nora se couche-t-elle le soir ? »

Sa mère sait que l’heure correcte, c’est 20 h 30. Avec ses deux fils, aucun problème, mais, avec sa fille, elle n’y arrive pas. La petite joue dans son lit, se relève, s’endort rarement avant 23 heures « Elle fait de trop longues siestes à l’école », tente sa mère. « Parce qu’elle est fatiguée, réplique le médecin. Si vous la couchez plus tôt, elle dormira moins à l’école et s’endormira mieux le soir. Elle regarde beaucoup d’écrans ? » Julie Etcheberry explique : pas plus d’une demi-heure par jour, tous confondus. La mère a supprimé télé et tablette. Reste son téléphone, quand elle a besoin d’être tranquille cinq minutes. Pourquoi pas un jeu ou un livre, plutôt ? « On lit beaucoup ! », objecte la mère. « Ça s’entend à sa manière de s’exprimer ! », félicite Julie Etcheberry.

Avant de sortir, Nora revient vers la table récupérer son deuxième dessin. « Qu’y a-t-il de si important sur cette feuille ? », demande Zakia. « Un fantôme », lâche la fillette…

« Notre objectif : 100 % des bilans des 4 ans, affirme Marie-Laure Godin, vice-présidente du conseil départemental. Non seulement notre budget pour les PMI ne baisse pas, mais nous recrutons ! » Vingt-six personnes, cite-t-elle de mémoire. Pas trop de difficultés à trouver des médecins, pourtant mal rémunérés en PMI. « La difficulté, ce sont les inégales répartitions dans le département, et le manque de gynécologues. » Depuis la décentralisation, les PMI sous gestion administrative sont passées aux mains d’assemblées d’élus : dans chaque département, leur avenir est dépendant de choix politiques.

« La vocation universelle des PMI n’est pas remise en cause », garantit Marie-Laure Godin, pour qui « les personnels de Gennevilliers crient au loup ». « Nous n’avons pas à pallier les défaillances de l’État. Et nous sommes au-dessus des normes indiquées par le code de santé publique », plaide-t-elle. La santé relève des compétences de la région, le médico-social incombe au département. Les instances se renvoient la balle.

Dans la salle de consultation, c’est maintenant Adam qui dessine. « Si j’avais su que vous alliez aborder toutes ces questions, j’aurais davantage préparé », sourit sa mère. « Je vais vous laisser mon numéro, si des choses vous reviennent, vous pourrez m’appeler », répond le médecin. Adam met la main devant sa bouche quand il parle. « Dis au docteur : “C’est quoi ces noms d’Indiens bizarres ?” », encourage sa mère. Intimidé, Adam couche sa tête vers elle. « Tu as bien fait de l’installer à côté de sa maman », glisse Zakia à Julie Etcheberry. « J’ai senti… », murmure celle-ci. « Adam a un léger chuintement, madame. Pas de tétine ? » « Où est la tétine, Adam ? », demande sa mère. « À la poubelle ! », s’écrie l’enfant, soudain ravi des félicitations qui pleuvent. « Ça va se régler en grandissant, rassure le médecin. Ne le reprenez pas forcément, mais arrêtez-vous devant lui pour bien lui montrer de quelle manière vous articulez. »

Adam chausse les lunettes de pirate avec entrain. Vision impeccable. « Zakia, as-tu fait le poids et la taille ? », demande Julie Etcheberry. L’auxiliaire de puériculture indique les courbes dans le carnet de santé. « Adam est en haut des deux courbes. Son poids est lié à sa taille, mais l’évolution de son indice de masse corporelle pourrait le prédisposer à de l’obésité. » Le médecin rappelle les équilibres alimentaires souhaitables : pas de boissons sucrées, pas trop de féculents, du pain au petit-déjeuner et au goûter plutôt que de la brioche ou des gâteaux. « Même pas une petite viennoiserie occasionnelle ? », tente la mère. « L’occasionnel a tendance à devenir régulier, sourit le médecin. Et pas de sucre entre les repas, ça fait remonter la glycémie. » Adam se lève et exécute les exercices qu’elle lui demande : sauts à pieds joints en ligne, tenir sur une jambe les bras en avion. « Il a beaucoup d’équilibre ! », commente Julie Etcheberry.

La mère revient sur les repas : pas facile d’imposer des plats… « Quand ils disent “je n’aime pas” d’entrée de jeu, c’est pour dire : “Je préférerais quelque chose que je connais et suis sûr d’aimer”, indique le médecin. Il faut essayer des choses nouvelles : pour les légumes, proposez en purée, en gratin. Faites les courses avec lui, cuisinez ensemble… Nous organisons des ateliers sur ce thème à la PMI. » Adam s’est levé, sac sur le dos. Arrivée à la porte, la mère se penche vers son fils et se retourne en riant : « Il voudrait un pain au chocolat ! »

Société Santé
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