À Grande-Synthe, les associations craignent le pire

Après l’incendie qui a détruit le camp de migrants cette nuit, les associations alertent sur une crise humanitaire connue du gouvernement et soumise à l’incertitude de la présidentielle.

Hugo Boursier  • 11 avril 2017 abonné·es
À Grande-Synthe, les associations craignent le pire
© Photo : PHILIPPE HUGUEN / AFP

Difficile de ne pas entendre l’émotion, ce midi, dans la voix de Damien Carême. Lors d’une conférence de presse tenue au côté de Michel Lalande, le préfet des Hauts-de-France, et du procureur de la République, le maire EELV de Grande-Synthe s’est dit « particulièrement affecté » par l’incendie qui a ravagé cette nuit « 80 % du camp » pour lequel il avait déployé « des efforts depuis de longs mois, presque de longues années ». Quel avenir pour les 1 500 migrants qui habitaient ces lieux ?

Situation d’urgence

Michel Lalande l’a confirmé ce midi : il n’y aura pas de deuxième camp à Grande-Synthe. Le préfet a indiqué que les migrants pourraient être redirigés vers « les centres d’accueil et d’orientation (CAO) qui existent et que nous armerons en conséquence ». Pour l’instant, la priorité est de « mettre à l’abri les migrants qui errent sur les grands axes routiers de cette région en direction de Calais ou Paris », a-t-il poursuivi.

Suite à la fermeture du camp à 1 heure du matin, trois gymnases ont été réquisitionnés pour accueillir les 600 personnes encore présentes sur les lieux. Klaartje, bénévole à Utopia 56, explique que cette décision a été prise par la mairie. « Un premier gymnase a été réservé aux familles et aux mineurs isolés kurdes, un deuxième aux hommes seuls kurdes, et un troisième auxs Afghans ». Avec l’Auberge des migrants, l’association bretonne, qui lance un appel aux dons en nature, a pu distribuer « 200 couvertures durant la nuit ». La bénévole ne sait pas comment la situation va évoluer dans les prochains jours.

L’inquiétude des associations et de la municipalité réside surtout dans les 700 autres habitants du camp qui se sont dispersés en pleine nature, avec, parmi eux, plusieurs dizaines de familles avec enfants. « Le risque, c’est qu’elles reviennent à Paris où la situation est déjà très compliquée, à cause d’un afflux d’Afghans depuis un mois et demi vers le camp de transit bondé de La Chapelle » explique Corinne Torre, chargée de mission France pour Médecins sans frontières. Pour elle, envoyer les migrants de Grande-Synthe vers les CAO est un « doux rêve », principalement à cause du nombre important de places manquantes. « On se voile un peu la face », ajoute-t-elle, avouant que Médecins sans frontières est « très inquiet » suite à cet incendie – « la pire situation à vivre » selon elle.

La cause réelle : la surpopulation du camp

Si plusieurs départs de feu ont été constatés par les pompiers, faisant suite à une rixe entre Afghans et Kurdes, la cause réelle du problème relevait bien de la surpopulation du camp. Après le démantèlement de Calais en octobre 2016, les installations, construites pour 700 personnes, ont été occupées par plus du double. Une situation connue du gouvernement, après les nombreuses alertes de Damien Carême à ce sujet. C’est ce qui donne le sentiment à Corinne Torre que l’État « gère dans l’urgence, sans anticiper le nombre croissant d’exilés ». Elle explique :

Il y a un vrai sous-dimensionnement dans l’hébergement. La situation pour les mineurs isolés est catastrophique. Même si beaucoup de CAO ont été créés, il y a un manque évident de ressources humaines. Il faudrait tout remettre à plat.

« Tout remettre à plat » pour trouver des solutions, les associations n’ont eu de cesse de le faire auprès du gouvernement, bien au courant des problèmes d’hébergement à l’origine de l’incendie à Grande-Synthe. Le 28 février dernier, huit associations (Le Réveil voyageur, l’Auberge des migrants, Emmaüs France, Utopia 56, Salam Nord-Pas-de-Calais, Help Refugees, Refugee Community Kitchen [RCK], Secours catholique) ont envoyé une lettre ouverte aux ministres de l’Intérieur et du Logement. Se plaignant de « l’absence totale du moindre accueil » à l’égard des exilés, elles constataient « avec effroi que de nombreux enfants ainsi que de nombreux réfugiés potentiels sont totalement abandonnés et, sciemment, mis en danger par les autorités de notre pays ».

La mise à l’abri dans des conditions dignes des personnes dépourvues de tout, la possibilité, pour ceux qui le souhaitent, de pouvoir rejoindre les CAO et faire une demande d’asile, sans la menace de la procédure Dublin, et une pression supplémentaire sur la Grande-Bretagne pour qu’elle prenne sa part dans l’accueil des réfugiés.

Geneviève Jacques, la présidente de la Cimade, le confirme : « Face au nombre croissant d’exilés à Grande-Synthe, et à la détérioration des habitations, nous demandions déjà à l’époque la création de plusieurs lieux de mise à l’abri aux normes humanitaires, de taille plus gérable dans le Calaisis et le Dunkerquois ». Mais les associations n’ont pas obtenu de réponse.

L’inquiétude pour les mois à venir

Évoquant la responsabilité du gouvernement à deux niveaux – humanitaire car « les êtres humains dans un pays comme la France ne peuvent être abandonnés dans des situations insupportables », et sociale, « pour réellement offrir à ceux qui le souhaitent une demande d’asile dans de bonnes conditions » –, Geneviève Jacques réitère les propositions de la Cimade :

Nous sommes dans une perplexité angoissante par rapport à ce qui pourrait se passer à l’issue de la présidentielle : on voit le risque du pire.

Des demandes qui sont lancées dans la grande incertitude de la prochaine élection présidentielle. Car si la situation risque, selon Corinne Torre, de ressembler à « la crise de l’été dernier où la surpopulation avait généré de graves problèmes de santé et d’alimentation », nul ne peut promettre une meilleure politique d’accueil de la part du futur gouvernement. Et Geneviève Jacques, de conclure :

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