Calais : une politique migratoire schizophrène

Les associations s’indignent de l’action du ministre de l’Intérieur envers les migrants et en appellent à Emmanuel Macron.

Vanina Delmas  • 28 juin 2017 abonné·es
Calais : une politique migratoire schizophrène
© photo : DENIS CHARLET / AFP

M igrants enkystés », « appel d’air », « problème à traiter »… Des mots choisis, une bonne dose de sécuritaire et un brin de provocation envers les humanitaires. La recette du premier déplacement du ministre de l’Intérieur à Calais était corsée. Le tout s’effectuant au lendemain de la mort d’un conducteur polonais à cause d’un barrage routier installé par des migrants. L’indignation des associations d’aide aux migrants ne désenfle pas. « Dire que les associations doivent aller exercer leur savoir-faire ailleurs est scandaleux, s’exclame Corinne Torre, chargée de mission France à Médecins sans frontières (MSF). Notre ONG a décidé de se poser en France car la situation indigne l’exige. Les migrants sont à Calais depuis des années et y seront toujours. » 

Mais Gérard Collomb reste catégorique : pas de centre d’accueil d’urgence à Calais, malgré les recommandations incisives du Défenseur des droits, Jacques Toubon, et la présence de centaines de migrants contraints de dormir dans les sous-bois. « On peut comprendre ce refus d’une structure d’accueil humanitaire en l’absence de moyens pour la réguler. Maîtriser les flux de sortie, cela demande un dispositif complexe et un soutien des collectivités locales concernées, loin d’être acquis à ce stade. En revanche, on ne comprend pas que des dispositions ne soient pas prises pour relocaliser à titre humanitaire et à une certaine distance de Calais les migrants, notamment les personnes vulnérables », analyse Jérôme Vignon, président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, et auteur avec le préfet Jean Aribaud d’un rapport demandé par le ministère de l’Intérieur sur « l’après-jungle » de Calais.

Le ministre n’a pas mentionné la situation des mineurs isolés, très nombreux à Calais, mais s’est empressé de revêtir son képi de premier flic de France. Le 5 juin, il avait annoncé l’envoi de 150 policiers et gendarmes supplémentaires dans le Calaisis. Cette fois, ce sont 250 personnes en renfort. Et il n’a pas tremblé en rendant hommage aux forces de l’ordre qui travaillent avec « beaucoup d’humanité ». Provocation ultime pour les migrants victimes de violences policières et pour les associations locales et nationales qui les dénoncent depuis des mois. « Une semaine de consultations dans la clinique mobile de MSF nous a suffi pour constater la réalité des pressions policières, raconte Corinne Torre. Les forces de l’ordre délogent les migrants la nuit en les gazant, eux, leurs vêtements et leurs couvertures. » « Les politiques sont dans un déni de réalité mais il faut une réponse urgente car les exilés en France sont dans une errance totale », s’indigne Françoise Sivignon, présidente de Médecins du monde.

Le même jour, lors du Conseil européen à Bruxelles, Emmanuel Macron ne tarissait pas d’éloges sur « les décisions courageuses » de la chancelière allemande Angela Merkel lors de la crise migratoire. Deux hommes. Deux discours. Deux visions. Ou bien une schizophrénie savamment orchestrée pour esquisser un peu plus de flou autour de la future politique migratoire de l’ère Macron. Dans tous les cas, les ONG ne savent toujours pas à qui faire leurs doléances. Médecins sans frontières a demandé un rendez-vous à l’Élysée, puis au ministère de l’Intérieur : aucune réponse. Médecins du monde semble savoir qu’une personne en charge des questions migratoires existe Place Beauvau, « mais elle n’est pas encore clairement identifiée ».

Le « plan migrants » annoncé comme une bouée miraculeuse par Gérard Collomb et devant se concrétiser d’ici à quinze jours n’a pas réduit les exigences des représentants des associations. Dix d’entre elles [1] ont été reçues, lundi 26 juin, par le pôle diplomatique de l’Élysée, après avoir signé une tribune réclamant un « changement radical de politique migratoire ». Leurs revendications : l’implication de la société civile dans les concertations en amont de ce plan migrants, la dénonciations des violences policières et, surtout, l’urgence de ne pas confier la question migratoire au seul ministère de l’Intérieur.

[1] Emmaüs International, Emmaüs France, Gisti, Amnesty International, CCFD-Terre solidaire, CRID, Roya citoyenne, Terre d’errance, Paris d’exil, P’tit Déj’ à Flandre.

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