BCUC : L’Afrique inclassable

Venu de Soweto, le groupe BCUC chante avec un talent ébouriffant la complexité de l’Afrique du Sud contemporaine.

Lorraine Soliman  • 5 juillet 2017 abonné·es
BCUC : L’Afrique inclassable
© photo : LOIC VENANCE/AFP

C’est d’abord l’inouï qui frappe. L’inouï et la rage. L’acharnement de ce septet inclassable à chanter, dire, hurler son être-sud-africain. BCUC, alias Bantu Continua Uhuru Consciousness, né à Soweto autour de 2004, déboule en Europe fin 2016 avec un album, Our Truth, sorti sur le label français Nyami Nyami Records. Sans subterfuge autre que leur talent ébouriffant, ses musiciens attirent rapidement les foules en donnant tout ce qu’ils ont à donner.

« Rennes, France, je t’aime. Beaucoup, beaucoup, beaucoup », confie le chanteur et leader Zithulele « Jovi » Zabani Nkosi à la fin d’un fabuleux concert aux Trans Musicales de Rennes, en décembre 2016. On l’entend, dans un français peu assuré, et on le croit, car la franchise n’est pas une moindre qualité chez ces musiciens post-apartheid, capables d’aborder de front les questions universelles qui hantent l’Afrique du Sud.

Avec une verve abrupte et une sincérité troublante : « Vous savez que je viens d’Afrique du Sud, n’est-ce pas, et parfois la situation, chez moi, accable mon pauvre cœur. Il y a tant de haine ! Et je comprends pourquoi il y a de la haine. Mais ce que je ne comprends pas, c’est juste le concept de haine. C’est tellement dingue, c’est si brutal ! […] Mais, moi et mon groupe, nous allons réparer cela en étant positifs ! […] Être positif, ça ne veut pas dire que vous êtes stupide. Ça ne veut pas dire que vous êtes naïf. Ça veut juste dire que vous essayez de pardonner. Parce que vous savez que vous aussi faites des erreurs. »

Franchise du discours et hardiesse musicale vont de pair chez les membres de BCUC, dont deux des principales sources artistiques s’appellent Philip « Malombo » Tabane et Batsumi. Comment qualifier leur musique ? « Africangungungu », répondent-ils, histoire de mieux encore brouiller les pistes. Ancré dans une Afrique où l’ancestral tire sa splendeur du règne de la multitude imprévisible, BCUC se définit volontiers comme un collectif spirituel. Il est vrai que sa musique et son intransigeante envie d’aller de l’avant mènent à la transe.

Voix et percussions sont au cœur du dispositif, propulsées par la basse intarissable de Mosebetsi Jan Nzimande. Punk, rock, soul, gospel, hip-hop, free-jazz, funk, afro-beat, ne rayez rien, toutes ces mentions sont utiles. Et d’autres encore, à commencer par le foisonnement des langues, zoulou, sotho, anglais…, et des instruments : tambours, grosses caisses, congas, tambourin, sifflets des mineurs Shona, cloches, shakers, Imbomu horn (vuvuzela)… Par moments, une énergie guerrière amplifie les rythmiques nguni et tsonga, saisissant l’auditoire jusqu’au vertige.

Et ne croyez pas que les musiciens s’éparpillent dans une telle abondance. Ils sont ainsi, animés par un sens de la liberté et une soif de tolérance hors du commun. « Open your mind ! Open your heart ! Have love ! All I see is human beings », scande Zithulele Nkosi de sa voix de rocailles.

C’est que les mots, chez BCUC, sont tenus par un engagement politique fort, un refus des catégories (humaines, musicales…) qui, dans leur pays, est tout sauf un lieu commun. Son esprit de continuum se traduit dans la forme – musique inépuisable et persistante, haletante et douce comme une respiration – comme sur le fond. Ainsi, avec un naturel confondant, BCUC propose au monde une entrée poétique dans la matière bouillonnante de l’Afrique du Sud des années 2010.

Our Truth, BCUC, Nyami Nyami Records.

Concerts : le 6 juillet à Sète, le 7 à Vienne, le 12 à Arles, le 15 à Alba-la-Romaine, le 17 à Millau et le 12 août à Paimpol.

Musique
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