« Plan climat » de Nicolas Hulot : rendez-vous en terrain connu

Le ministre de la Transition écologique et solidaire a détaillé ce jeudi les 23 axes de son « plan climat ». Entre des mesures phares, telle la « neutralité carbone », ou de grands absents, comme la question nucléaire, le plan de Nicolas Hulot semble tenir sur un fil.

Selim Derkaoui  • 6 juillet 2017 abonné·es
« Plan climat » de Nicolas Hulot : rendez-vous en terrain connu
© photo : Thomas SAMSON / AFP

J ’ai l’impression d’être un funambule. Le seul moyen de ne pas tomber, c’est de regarder loin », explique Nicolas Hulot au tout début de sa conférence de presse. Ce jeudi, le ministre de la Transition écologique et solidaire a présenté un vaste « plan climat », qui comprend six grands thèmes et 23 axes « allant de l’international au quotidien des Français ». Ce plan reprend en grande partie les engagements de campagne d’Emmanuel Macron, très rapidement énumérés par le Premier ministre en toute fin de son discours de politique générale : la fin des nouveaux permis d’exploitation d’hydrocarbures, la convergence de la fiscalité essence et diesel avant 2022, la montée en puissance de la fiscalité sur les émissions de CO2 et la division par deux des déchets mis en décharge d’ici à 2025. Le ministre souhaite rendre l’accord de Paris sur le climat « irréversible », se disant « fier » que la France prenne « la direction inverse » de celle prise par les États-Unis.

Une « neutralité carbone » risquée, malgré une taxe ambitieuse

La grande priorité de Nicolas Hulot, c’est la taxe carbone mais il n’a donné que peu de détails sur les pourcentages. Selon Le Figaro, l’augmentation atteindrait 40 % du prix de la tonne de carbone en 2030, à 140 euros. Par ailleurs, le Premier ministre a fixé l’horizon 2050 pour arriver à une « neutralité carbone », c’est-à-dire pour que le niveau des émissions de gaz à effet de serre ne soit pas plus élevé que les émissions capturées par les forêts. Ce nouvel objectif constitue un rehaussement de l’ambition qui jusqu’ici était de diviser par quatre les émissions françaises entre 1990 et 2050, avec une baisse de 40 % en 2030.

Mais, selon Maxime Combes, spécialiste des politiques climatiques d’Attac France, cette focalisation sur la neutralité carbone comporte des risques : « On cherche juste un équilibre, c’est un objectif vague pour la population. On a besoin d’objectifs précis et chiffrés permettant d’établir une feuille de route cohérente avec l’objectif des 2 °C. » Selon ce spécialiste, cela « ouvrirait la porte à l’utilisation de la géo-ingéniérieensemble des interventions à grande échelle sur l’environnement destinées à contrer le changement climatiqueet aux mécanismes non maîtrisés de capture et stockage du carbone. » En outre, cette priorité se ferait au « détriment des droits des agriculteurs », certifie-t-il.

Geste fort, Nicolas Hulot a annoncé « la fin de la vente des voitures à essence et diesel d’ici 2040 », tout en reconnaissant que cet objectif est « lourd », notamment pour les constructeurs automobiles. « Il faudrait une sortie du diesel beaucoup plus tôt ! » s’alarme Julien Bayou, porte-parole du parti Europe Écologie-Les Verts (EELV). Dans cette logique, des aides pour remplacer les véhicules diesel ou essence seront mises en place afin que les « plus modestes puissent acheter des véhicules moins polluants ». En ligne de mire : les diesel datant d’avant 1997 ou les essence d’avant 2001. Cependant, le ministre n’a pas précisé le montant de cette prime.

La taxe sur les transactions financières, l’éternelle intranchée

L’autre dossier, sur lequel Nicolas Hulot risque à tout moment de tomber de sa corde de funambule, est celui de la taxe européenne sur les transactions financières. Emmanuel Macron s’était pourtant engagé à la faire aboutir cet été alors que Bercy, de son côté, y est opposé. Les bénéfices qu’elle apporterait, de l’ordre de 20 milliards d’euros annuels, seraient en partie affectés à la transition énergétique et à aider les pays les plus pauvres au changement climatique. Or, lors du Sommet européen, Macron a précisé qu’il souhaitait finalement attendre le Brexit pour instaurer cette taxe.

« La taxe sur les transactions financières au niveau européen, censée générer des recettes pour la solidarité internationale, ne figure pas dans ce plan », s’inquiète l’association Réseau action climat dans son communiqué. La mise en place de cette taxe est un « outil capital » « pour aider les pays les plus vulnérables à lutter contre les changements climatiques et leurs impacts », précise-t-elle. Paradoxalement, la mesure « première dans [s]on cœur, a affirmé Nicolas Hulot à la fin de son discours, est de soutenir les pays en développement » en réduisant leurs émissions et en aidant les victimes des dérèglements climatiques. D’autant plus que rien n’est encore clair sur le statut des réfugiés climatiques, sujet totalement occulté.

Selon Julien Bayou, c’est une nécessité « d’encadrer la finance pour générer des recettes ». « S’opposer à la dérégulation financière pourrait favoriser de nouvelles politiques pour le climat » assure de son côté le spécialiste d’Attac, Maxime Combes. D’après ce dernier, cette question serait « symptomatique des priorités du gouvernement », qui est de « maintenir le système financier au détriment des investissements en faveur de l’environnement. » Nicolas Hulot pourrait ainsi se passer de cette taxe afin de financer le secteur des énergies renouvelables. La France est déjà en retard sur son objectif d’atteindre les 32 % d’énergies renouvelables dans la production totale d’énergie d’ici à 2030.

Les enjeux sociaux pas oubliés

Le logement n’a pas été oublié. Le ministre a promis d’éradiquer « en dix ans » les bâtiments qui sont des « passoires thermiques » – il y en aurait environ 8 millions selon le Réseau action climat. Sur les 50 milliards d’euros du plan d’investissement, quatre seront utilisés pour lutter contre la précarité énergétique. D’après Julien Bayou, il en faudrait dix fois plus soit quarante milliard d’euros. « Il vaudrait donc mieux investir là dedans plutôt que dans le CICE car cela pourrait créer un emploi tous les cinq logements rénovés », propose celui qui a participé à la fondation du collectif Jeudi noir.

L’autre aspect social souvent mis à l’écart est la conversion professionnelle des salariés. Un enjeu décisif pour pouvoir fermer les dernières centrales au charbon françaises d’ici 2022, comme celle du Havre, ville d’Édouard Philippe. Pour cela, des « contrats de transition », seront crées pour prévoir des négociations entre les syndicats et les industriels afin de préparer les emplois de demain. Une annonce qui satisfait le Réseau action climat mais de son côté, Maxime Combes d’Attac met en évidence la contradiction de cette mesure avec « l’attaque en règle en cours contre le droit du travail qui ne pourra que générer plus d’insécurité pour ces mêmes salariés », référence au projet de réforme du Code du travail souhaité par l’exécutif.

Une loi sera présentée à l’automne prochain afin de mettre un terme à « tout nouveau permis d’exploitation » – mais non à ceux déjà en cours -, de pétrole, de gaz, et de charbon, y compris pour toutes les énergies non-conventionnelles.

Les accords commerciaux et le nucléaire : les grands absents

Sur la part du nucléaire dans la production d’électricité, Nicolas Hulot espère la réduire à 50 % d’ici 2025. « C’est un objectif et j’espère qu’on le tiendra », exprime t-il. Mais « comment fermer 18 à 20 réacteurs d’ici 2025 ? », s’interroge Maxime Combes. « Ils n’ont même pas précisé quels réacteurs seraient fermés en premier », se désole Julien Bayou d’EELV. D’autant plus que, contrairement au charbon, Nicolas Hulot n’a rien proposé au sujet de la reconversion pour les employés du nucléaire ou d’une potentielle politique sociale.

Concernant les accords commerciaux (OMC) et régionaux (Ceta), Nicolas Hulot a préféré ne pas les évoquer. « Il n’y a rien concernant les accords commerciaux comme l’OMC, ou régionaux comme le Tafta ou le Ceta, alors que ce dernier n’est pas compatible avec la Cop 21 », s’indigne ainsi Maxime Combes. Aujourd’hui, la Commission européenne vient de finaliser l’accord de libre-échange avec le Japon – le Jefta –, lui aussi en contradiction avec la lutte contre le climat désirée par le ministre.

Le prochain rendez-vous de ce « plan climat » est donc fixé à courant juillet, avec les « états généraux de l’alimentation ». « L’agriculture peut être la solution », assure Nicolas Hulot, sans hélas plus de précisions. Pour les prochaines étapes du plan, il faudra donc encore être patient. « Il faudrait une feuille de route générale sur les deux prochaines années ! », s’alarme Julien Bayou. Malgré un plan qu’il juge « ambitieux sur la table », il ironise, sur son compte Twitter :

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