Les idiots utiles du coup d’État social

Les revenus de la rente financière seront moins taxés que ceux du travail.

Liêm Hoang-Ngoc  • 27 septembre 2017 abonné·es
Les idiots utiles du coup d’État social
© photo : LEEMAGE

Un jour de manifestation, l’économiste Philippe Aghion, conseiller du président de la République, était invité à la radio, dans la matinale la plus écoutée de France, pour faire la pédagogie du coup d’État social. Il osa soutenir que les ordonnances ont pour but de permettre de conclure au niveau de l’entreprise de meilleurs accords sur les salaires et l’emploi que ceux prévus par la loi ou l’accord de branche ! Or, l’objectif des récentes « réformes structurelles » est clairement de remettre en cause la hiérarchie des normes et de réduire les coûts de licenciement.

L’Accord national interprofessionnel permettait déjà de signer des accords faisant « travailler plus pour gagner moins ». La loi El Khomri l’autorise au-delà de la 35e heure. Les ordonnances donneront la possibilité aux employeurs des TPE-PME de contourner les syndicats pour fixer unilatéralement les conditions d’emploi et de salaire avec les délégués ou les représentants du personnel de leur choix. L’unique concession faite, quant à la primauté de la branche, porte sur l’encadrement des contrats de chantier, synonyme de transformation du CDI en CDD renouvelables à perpétuité…

L’éminent professeur au Collège de France assura également que, sur le plan fiscal, l’objectif n’était pas de réduire la progressivité de l’impôt. Il aurait au contraire pour vocation de lutter contre la rente, de stimuler l’innovation et l’investissement ! Les faits lui donnent tort. Le gouvernement prévoit de rétablir l’impôt non progressif (à taux unique) sur les revenus du capital, représentant l’essentiel des revenus des plus fortunés. Chère à la théorie de l’offre américaine, cette flat tax leur permettra d’échapper au barème progressif de l’impôt sur le revenu : les revenus de la rente financière seront moins taxés que ceux du travail.

De surcroît, la réforme de l’ISF prévoit que la détention d’actions ne sera plus assujettie à l’impôt de solidarité sur la fortune. Cette baisse de l’ISF ne stimulera en aucun cas l’investissement : les représentants des holdings familiales, formant le noyau dur de l’actionnariat français, somment plus que jamais les dirigeants qu’ils nomment de consacrer une part croissante des profits au versement de dividendes, au détriment de l’investissement. Compte tenu de la propension à épargner des classes riches, les quelque 7 milliards d’euros économisés chaque année (c’est le coût de ces deux mesures) ne manqueront pas d’être majoritairement consacrés à l’acquisition détaxée de nouvelles actions, d’autant plus juteuses grâce au prélèvement libératoire. L’accumulation et la concentration de la rente financière s’en trouveront exacerbées.

Dans le monde rêvé du Pr Aghion, les chômeurs ont enfin pour blaze « personne en formation » ! Ils retrouvent mécaniquement un emploi sur le marché du travail réformé, où les entreprises innovantes ne peuvent qu’être intéressées, dans le nouvel environnement réglementaire et fiscal, par leurs compétences ainsi mises à jour. Chacun est alors placé à égalité de chances pour devenir milliardaire. Cette fable est également contée par certains membres de la corporation des économistes, qui traitent sans vergogne leurs contradicteurs de « négationnistes » sans qu’aucun procès ne leur soit jamais fait…

Liêm Hoang Ngoc Maître de conférences à l’université Paris-I

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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