Gauche, année zéro

Tout est à réinventer. Il ne s’agit plus de « rénovation », de « reconstruction » ou de « refondation », tous ces mots qui ont coloré d’illusions le ciel de la gauche.

Denis Sieffert  • 29 novembre 2017
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Gauche, année zéro
© photo : Philippe LOPEZ / AFP

Voilà qu’en cette fin d’année dévastatrice pour la gauche, chacun se penche sur son avenir. C’est le temps des conventions, des sondages, des débats ou, à tout le moins, des interrogations. Nous sommes là face à une situation entièrement nouvelle. Inutile d’aller chercher dans les livres d’histoire, on ne trouvera rien. Certes, l’effondrement de la social-démocratie n’est pas sans précédent. On se souvient qu’en 1969, la candidature Defferre avait recueilli moins de voix que Benoît Hamon au printemps dernier. Mais le Parti communiste était là et bien là, avec ses 21 %. On m’objectera que la France insoumise a pris la relève, mutatis mutandis.

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Entre les deux situations, il y a tout de même une différence de taille. Malgré sa débâcle, le parti social-démocrate de l’époque était resté constitué. Assez pour renaître de ses cendres deux ans plus tard. Aujourd’hui, il est anéanti. Ses fossoyeurs dansent sur son cadavre. Comme Manuel Valls, emporté dans une sinistre dérive identitaire. Ou cet Olivier Dussopt qui a raccourci à l’extrême les délais de la trahison : un jour il vote contre le budget et, soixante-douze heures plus tard, il entre au gouvernement. Qui dit mieux ? En 1969, la vieille SFIO payait notamment sa politique coloniale, mais elle avait encore quelques préoccupations sociales. Aujourd’hui, la social-démocratie européenne meurt d’avoir accompagné les pires avancées du libéralisme. Les socialistes français se sont même distingués dans cet exercice par un zèle particulier. Depuis Mitterrand, ils ont trop souvent devancé l’appel.

Résultat, tout est à réinventer. Il ne s’agit plus de « rénovation », de « reconstruction » ou de « refondation », tous ces mots qui ont coloré d’illusions le ciel de la gauche. Les années Reagan-Thatcher, la chute du mur, le retour du religieux et, peut-être par-dessus tout, Internet, – qui a aboli les frontières et accéléré la circulation du capital – ont broyé le monde ancien. Il n’y avait pas de fatalité à cela. Il a fallu la complicité de ceux qui avaient vocation à résister. Nous en sommes là. Et la situation est pire encore en cette fin d’automne qu’au lendemain des élections. Un mouvement social contre les ordonnances modifiant le code du travail aurait pu cacher la misère. Voire créer réellement les conditions d’un nouveau rapport de force. Rien de tel ne s’est produit.

Gardons-nous cependant des pronostics. On ne jouera pas les Viansson-Ponté, qui, trois jours avant l’explosion de Mai 68, prophétisait dans Le Monde : « Les Français s’ennuient, ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde… » D’ailleurs, aujourd’hui, les Français ne s’ennuient pas. Ils souffrent. Mais, disons que, dans l’immédiat, le grand mouvement est improbable. Il faut donc exister, s’interroger et, malgré tout, agir. Et le questionnement est nécessairement radical. Faut-il encore appeler « la gauche » « la gauche » ? Ne faut-il pas liquider, une fois pour toutes, ces partis politiques issus du XIXe siècle ? Faut-il encore considérer la nation comme le lieu pertinent de la démocratie ? On pourrait énumérer les questions à l’infini.

Au moins Mélenchon apporte-t-il ses réponses. Son « populisme » prétend supplanter la vieille gauche. Son mouvement « gazeux » se substitue aux vieux partis. Le tirage au sort remplace les élections. Et les clics le vote des militants. Plus de courants, plus de tendances, plus de chefs élus… C’est une révolution. Le risque est de rester sous l’influence paradoxale du PS. Les « combats de coqs » (l’expression est de Castaner, elle pourrait être de Mélenchon) ou les tambouilles entre chefs de clan sont certes à bannir. Mais suffit-il de prendre le contre-pied de tout ce qui s’est fait dans l’histoire récente et calamiteuse du PS ? Peut-on durablement faire l’économie de vrais débats ? Peut-on mettre sous le boisseau les différences et les divergences ? Entre les combats de coqs et le boisseau, n’y a-t-il rien ? Rien qui s’apparenterait à la démocratie ? Lorsque le politologue Thomas Guénolé affirme dans Libé que la France insoumise (dont il est membre) n’a « pas de temps à perdre avec Valls et Bouteldja », il biaise un peu le débat. Dit comme ça, on ne peut évidemment que le suivre. Mais ce n’est peut-être pas la meilleure façon d’aborder les questions de l’islam et, plus largement, de la rencontre de cultures et de vécus différents dans notre société, lesquels interagissent évidemment avec le social.

Il ne suffit pas d’invoquer « l’universel républicain ». Je dis cela en sachant que je vais agacer certains de nos lecteurs. Mais que serions-nous si nous n’usions pas de notre droit à la critique ? D’autant plus qu’il faut reconnaître que la France insoumise a l’immense mérite de proposer. Et que, jusqu’à preuve du contraire, c’est là que ça se joue. Et c’est là que l’on peut garder espoir de quelque chose de neuf et de fort. Pas au PC, plongé dans un grand désarroi. Pas chez Hamon, dont on attend le discours de samedi au Mans, mais dont on ne sait rien et qui part de si loin…

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes
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