Partis politiques : Consultez, y a rien à voir !

Les multiples consultations auxquelles sont aujourd’hui invités les sympathisants de gauche révèlent le profond désarroi des états-majors des partis.

Pauline Graulle  • 1 novembre 2017 abonné·es
Partis politiques : Consultez, y a rien à voir !
© photo : Michel Stoupak/NurPhoto/AFP

Si vous êtes un sympathisant de gauche, il vous a sans doute été impossible, ces derniers temps, d’ouvrir votre boîte mail ou de contempler votre « mur » Facebook sans vous retrouver submergé de questions : « Comment, selon vous, la gauche doit-elle évoluer ? », « Que signifie être socialiste aujourd’hui ? », « À quoi ressemblera le communisme de demain ? », « Comment s’organiser pour peser ? », « Comment pouvez-vous vous impliquer ? »

Cet automne, une « consultationnite aiguë » s’est emparée de la gauche française. Du Parti communiste au Parti socialiste, en passant par les hamonistes du M1717 (Mouvement du 1er juillet 2017) et les insoumis de Jean-Luc Mélenchon, tous les états-majors se tournent vers leurs militants pour leur demander leur avis, les interroger sur leur potentiel d’engagement, et leur poser de grandes questions politico-philosophiques. Questionnaires en ligne, QCM « papier » ou contributions libres via des plateformes en ligne, chaque parti a sa méthodologie pour sonder les reins et les cœurs de sa base supportrice.

Exit le conflit

Reste qu’entre le discours affiché et les intentions véritables, il y a souvent un monde. Même à la France insoumise (FI), qui porte pourtant la « démocratie 2.0 » dans son ADN [1], le processus consultatif prend parfois des airs de réplique viscontienne : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » En moins de deux mois, la bien nommée « boîte à idées », ouverte du 16 août au 9 octobre sur le site internet de la FI, a permis de recueillir plus de 3 000 contributions, plutôt étoffées, et maintenant compactées sous la forme de quatre « synthèses » par une petite équipe d’insoumis, venue pour partie du noyau dur qui dirige le mouvement.

À première vue, la consultation offre une grande liberté de parole, les interventions n’étant pas cantonnées à quelques cases à cocher. Mais les thématiques abordées, centrées sur les modalités d’action du mouvement, ont été soigneusement choisies pour ne pas faire de vagues. Exit les sujets qui pourraient fâcher – sur l’Europe ou la laïcité –, exit aussi les questions de stratégie ou de personnes.

En réalité, à quelques semaines de la convention du mouvement, organisée les 25 et 26 novembre à Clermont-Ferrand, la direction de la France insoumise n’a qu’une hantise : tomber dans les travers mortifères du Parti socialiste – ses courants sibyllins, ses magouilles électorales, ses guerres intestines… « Notre idée de la consultation, c’est de faire participer les gens, pas de créer du conflit en interne, précise Bastien Lachaud, député France insoumise de Seine-Saint-Denis. Pour ce qui est de notre socle idéologique, on a “L’Avenir en commun”, le programme de la présidentielle que l’on enrichit par des livrets thématiques. »

Côté socialistes, la prise de pouls des sympathisants va, là aussi, bon train. Ironie du hasard, c’est le même jour que les deux frères ennemis de feu la rue de Solférino choisissaient d’inaugurer en grande pompe leurs questionnaires. Avec des objectifs quasi similaires : pour le M1717 de Benoît Hamon, lancer sa « fondation » ; pour le PS, une bien hypothétique « refondation »

Depuis le lundi 23 octobre, les sociaux-démocrates, anciens ou nouveaux, simples sympathisants ou fervents militants, ont donc le choix. Répondre aux 44 questions en ligne de Benoît Hamon (par exemple : « Le Mouvement du 1er juillet doit-il se revendiquer de la gauche ? », « Comment envisageriez-vous votre engagement au sein du mouvement ? »). Ou « donner son avis » au PS, sur des sujets aussi complexes que « les valeurs et l’identité des socialistes » ou « [la] vision de notre pays dans vingt ans ».

Quelques jours après sa mise en ligne, le questionnaire soumis par le PS ne semblait pas avoir passionné les foules – les commentaires se comptaient seulement en dizaines. Au même moment, Benoît Hamon se targuait, lui, d’avoir rassemblé quelque 15 000 contributeurs en soixante-douze heures. Destinée à préparer le lancement du nouveau mouvement, les 2 et 3 décembre prochains, cette « grande consultation citoyenne » a pour but de « reconstruire la gauche en général, mais aussi de montrer que le M1717 sera empreint d’une vraie culture de la consultation », affirme Carole Bur, l’attachée de presse du mouvement.

Panne doctrinale

Démontrer plus qu’écouter. Serait-ce, au fond, le vrai dessein de ces enquêtes ? Lesquelles tiennent parfois davantage du micro-trottoir que de la vraie réflexion politique. C’est la thèse de François Gombert, spécialiste des « civic tech » [2] : « Les consultations de ce genre sont avant tout des opérations de communication politique à moindres frais, juge-t-il. Pour les partis installés, il s’agit moins de faire participer leur base militante que d’apparaître comme légitimes et modernes. Pour les mouvements naissants, les consultations permettent aussi de collecter des datas pour se constituer une base de données militante. »

Christophe Aguiton, militant syndical et associatif, auteur de La Gauche du 21e siècle (La Découverte, août 2017), y voit certes une évolution bienvenue : « Ces consultations tous azimuts sont d’abord un moyen pour les partis de répondre à un besoin de leurs militants : dans une société où tout le monde est habitué à donner son avis sur Internet, les gens ne veulent plus de prises de décision verticales. » Néanmoins, ajoute-t-il, « demander à sa base militante de donner son avis sur tout et n’importe quoi révèle également un profond malaise : cela montre la panne doctrinale de la gauche actuelle, qui ne sait plus qui elle est et ce qu’elle peut proposer ».

C’est évidemment le cas d’un PS miné par son manque de ligne idéologique, et qui promet de renouer avec un débat interne « sans tabou » en vue de son congrès du printemps prochain. C’est aussi le cas du PCF, qui lançait, le 18 septembre, son deuxième questionnaire à choix multiples en moins de deux ans. Un QCM adressé cette fois aux seuls adhérents, qui doivent choisir parmi toute une série de thématiques et de questions, celles qu’ils souhaiteraient voir posées, ou non, lors du prochain congrès extraordinaire du parti – un congrès qui s’annonce particulièrement houleux pour le secrétaire national Pierre Laurent.

« Ce questionnaire a surtout pour effet de faire diversion et d’occuper l’espace pour empêcher les communistes de poser les questions qui dérangent », accuse Emmanuel Dang Tran, tenant d’une ligne opposée à la direction actuelle, et qui affirme que la démarche est globalement mal accueillie en interne. « Les questions sont sinon incompréhensibles, très creuses, poursuit-il. À croire qu’elles n’ont qu’un seul objectif _: nous maintenir dans l’anesthésie et le ronron alors que le PCF a comptabilisé, aux dernières législatives, moins de voix qu’au temps où les femmes n’avaient pas le droit de vote ! »_

Un temps où le PCF ne demandait pas à ses militants de « cocher » les « 3 défis » leur semblant « prioritaires » entre écologie, démocratie, lutte contre les égalités, paix, émancipation, ou révolution du travail… Une autre époque.

[1] Le mouvement a été créé début 2016 autour d’une plateforme numérique participative.

[2] Ensemble des procédés issus des nouvelles technologies destinés à améliorer la participation des citoyens dans le champ politique.

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