Condamnation de Lula : Une vengeance de classe

La machine judiciaire lancée contre Lula participe d’une opération de revanche lancée par l’élite économique et politique en 2016, avec la destitution de Dilma Rousseff.

Patrick Piro  • 31 janvier 2018 abonné·es
Condamnation de Lula : Une vengeance de classe
© photo : Des manifestants réclament la prison pour l'ex-président, le 24 janvier à Sao Paolo.FotoRua / NurPhoto / AFP

Les outrances ne font pas peur à Grebran Neto, l’un des trois juges qui ont confirmé la condamnation de Lula en appel le 26 janvier. L’ex-président du Brésil (2002-2010) serait « l’un des principaux artisans, sinon le principal, d’un vaste réseau de corruption […] qui a fragilisé non seulement le fonctionnement de Petrobras mais de tout le processus politique du Brésil ». Évoqué : l’énorme système de pots-de-vin autour de la firme pétrolière nationale, qui mouille de nombreux politiques de premier plan et de tous bords.

La peine a été portée à 12 ans de prison pour des faits allégués de corruption passive et de blanchiment d’argent. Pourtant, à ce jour, les juges n’ont exhibé aucune preuve matérielle. Leur conviction se fonde sur les seules confessions livrées, en échange d’une remise de peine, par un entrepreneur du BTP coutumier des pots-de-vin.

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Les Brésiliens intimement convaincus de l’innocence de Lula sont probablement minoritaires. Il avait échappé de peu au scandale du Mensalão, l’achat de votes au Parlement [1] par le Parti des travailleurs (PT, gauche, dont il est l’un des fondateurs) sous sa présidence. En revanche, la singulière sévérité ainsi que l’extrême diligence de la justice sont d’ores et déjà qualifiées de « fraude électorale » par un nombre grandissant de personnes [2]. Car le but poursuivi semble bien de le rendre inéligible à la présidentielle d’octobre 2018. En dépit de la minceur du dossier, la justice médiatise ses actes à outrance au prétexte qu’un ex-président n’est pas à l’abri de ses foudres, cherchant à casser son image. Le dispositif déployé pour son arrestation est de ceux que l’on réserve aux dangereux criminels. Dernière brimade en date : les juges viennent de récupérer le passeport de Lula. Interdiction de sortie du territoire pour celui qui fut auréolé des plus forts taux d’approbation de l’histoire du Brésil, salué et récompensé sur toutes les scènes du monde pour son œuvre de réduction de la pauvreté.

Le 31 août 2016, Dilma Rousseff (PT), qui a succédé à Lula, est démise par un « coup d’État parlementaire », comme le dénonce une gauche abasourdie. Le parquet demande ensuite la mise en examen de Lula, qu’il considère comme le « chef suprême » du scandale Petrobras. À peine 16 mois plus tard, le jugement en appel était déjà rendu, alors que la Cour suprême met en moyenne 20 mois pour simplement prendre en compte une requête, selon l’administration judiciaire. Un super « coupe-file » pour Lula, quand des dizaines de parlementaires de droite sont depuis des années sous le coup d’investigations judiciaires lourdes. Jusqu’au Président Temer, visé pour « participation à une organisation criminelle », « corruption passive » et « obstruction à la justice » : le Congrès, si zélé quand il s’est agi de déboulonner Rousseff, a pactisé avec celui qu’il a installé à sa place. Les parlementaires disposent d’une immunité, que la Cour suprême pourrait lever, mais ses magistrats ont été nommés… par le Président, avec approbation du Sénat. Un tel cynisme politique renvoie aux années noires de la dictature, que le retour à la démocratie en 1985, et surtout l’élection de Lula, avait semblé faire reculer dans les mémoires.

Mais plus grave encore pour le pays qu’un retour à la jungle politique, cette régression dessine une vengeance de classe. Une bonne partie de l’élite bien-pensante brésilienne n’a jamais avalé de voir le pays dirigé par une figure lui ressemblant si peu, fils d’une famille nombreuse du Nordeste, ex-syndicaliste métallo à l’élocution émaillée de fautes de grammaire. Lula et les siens sont depuis des mois la cible d’une violence verbale débridée et inédite dans une partie des classes aisées, qui fait écho à la volonté frénétique du gouvernement Temer de démanteler la politique sociale des gouvernements PT. Empêcher Lula, largement en tête des sondages, de se présenter à la présidentielle serait vite compris comme la manifestation du dernier des mépris à l’endroit du petit peuple. Le risque d’explosion sociale n’est pas à écarter. Calcul ou pas, le président Temer, que son immense impopularité [3] met de fait à l’écart de la course présidentielle, juge même que la condamnation, qui semble avoir décuplé la combattivité du vieux lion, « met le pays sous tension », et qu’il « préférerait voir Lula battu dans les urnes plutôt que par la justice ».

[1] Hélas, une tradition au sein d’un système qui complique la constitution de majorités.

[2] Un manifeste international « Une élection sans Lula serait frauduleuse » est en ligne sur le site change.org.

[3] 4 % d’appréciation positive.

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