Inefficace délai de carence

Venir travailler malade peut entraîner des coûts indirects.

Sabina Issehnane  • 21 mars 2018 abonné·es
Inefficace délai de carence
© IGOR STEVANOVIC / SCIENCE PHOTO / IST / Science Photo Library

Le gouvernement a rétabli le 1er janvier le délai de carence (trois jours) pour les arrêts maladie dans la fonction publique, mesure supprimée en 2014 après avoir été mise en œuvre pendant deux ans sous la présidence Sarkozy. Cette mesure est justifiée par une volonté d’harmonisation avec le secteur privé. Pourtant, deux tiers des salariés du privé sont pris en charge intégralement durant ce délai de carence, et ne subissent donc pas de perte de revenu.

Le délai de carence permettrait de prévenir ce que l’on nomme un « aléa moral ». Le malade détiendrait une information (le fait d’être vraiment malade ou non) que le principal intéressé (l’assurance maladie ou l’employeur) ne peut pas vérifier. La théorie économique standard préconise alors de mettre en place des incitations pour éviter une « consommation » abusive d’arrêts maladie injustifiés, afin de diminuer le taux d’absentéisme. Cependant, le délai de carence peut aussi encourager le présentéisme en amenant un salarié à venir travailler bien que malade, ce qui entraîne des coûts indirects en termes de contamination éventuelle de ses collègues ou de dégradation de l’état de santé du salarié, conduisant à des arrêts plus longs.

De nombreuses études empiriques ont été menées afin, d’une part, d’évaluer l’effet de l’introduction de ce délai de carence sur l’absentéisme des fonctionnaires ; d’autre part, de comparer le recours aux arrêts maladie entre salariés du privé couverts (pris en charge durant le délai de carence) et non couverts. Ces études montrent que les salariés du privé qui ne subissent pas ce délai de carence ont des durées d’arrêt maladie plus courtes que les salariés non couverts. Et la probabilité d’avoir un arrêt dans l’année n’est pas plus élevée pour les salariés du privé pris en charge durant le délai de carence [1]. Les salariés du privé ne sont donc pas des fainéants s’ils sont pris en charge, mais les fonctionnaires seraient-ils différents ? L’évaluation de l’introduction du dispositif chez les fonctionnaires en 2012 met en évidence que la part des agents de la fonction publique d’État s’absentant pour raisons de santé une semaine donnée n’a pas augmenté après la mise en place de la mesure (cette part est d’ailleurs plus importante dans le secteur privé). Cette mesure a eu néanmoins des effets importants concernant la durée des arrêts. Les absences de deux jours pour maladie ont ainsi fortement diminué, tandis que les absences plus longues ont augmenté [2].

Ce dispositif paraît donc inefficace et ne permet pas une meilleure équité. Peut-être le gouvernement devrait-il se concentrer davantage sur le poids des conditions de travail dans le recours aux arrêts plutôt que de chercher des boucs émissaires.

[1] « L’effet du délai de carence sur le recours aux arrêts maladie des salariés du secteur privé », Catherine Pollak, Dossiers Solidarité Santé n° 58, Drees, janvier 2015.

[2] « Le jour de carence dans la fonction publique de l’État : moins d’absences courtes, plus d’absences longues », Alexandre Cazenave-Lacroutz et Alexandre Godzinski, Insee Analyses, n° 36, novembre 2017.

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