« La Caméra de Claire », de Hong Sang-soo : Images du monde

Dans La Caméra de Claire, Hong Sang-soo met en scène un conte enchanteur où une modification du regard change le cours des choses.

Christophe Kantcheff  • 7 mars 2018 abonné·es
« La Caméra de Claire », de Hong Sang-soo : Images du monde
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En 2016, pendant le Festival de Cannes, Hong Sang-soo a tourné La Caméra de Claire presque à la sauvette, bien dans sa manière légère, réduite à l’épure. L’une des deux comédiennes principales, Isabelle Huppert, présente notamment pour Elle, de Paul Verhoeven, en compétition cette année-là, profitait des « trous » dans son agenda pour tourner avec le réalisateur coréen.

L’autre rôle important est tenu par Kim Minhee, partie prenante de tous les projets d’Hong Sang-soo depuis Un jour avec, un jour sans (2015). On l’a vue en particulier dans Le jour d’après, sorti l’an dernier, œuvre de tonalité sombre quand La Caméra de Claire est ensoleillé. Manhee a toutes les apparences d’une employée modèle dans la société de vente de films où elle travaille, très affairée alors que le festival bat son plein. Pourtant, sa patronne (Chang Mihee) la convoque pour exiger d’elle sa démission, car elle aurait été « malhonnête ».

Manhee a fait la connaissance de Claire, enseignante parisienne déambulant dans les rues de Cannes, qui elle-même rencontre fortuitement un réalisateur, So Wanso (Jung Jinyoung), qui se trouve être le compagnon de la patronne de Manhee. Où l’on apprend que So Wanso, enclin à la boisson, a couché avec la jeune femme, ce qui explique le licenciement de celle-ci…

La Caméra de Claire – évident clin d’œil au Genou de Claire, d’Éric Rohmer, cinéaste auquel on associe très (trop) souvent Hong Sang-soo – est un conte dans lequel Isabelle Huppert joue le rôle d’une fée prosaïque. Avec son imper, ses lunettes et son chapeau, Claire est sinon une innocente, du moins une néophyte – c’est la première fois qu’elle vient à Cannes, dit-elle d’emblée. Elle voit un artiste en chaque personne. Elle-même écrit des poèmes. Surtout, elle prend nombre de photos avec le Polaroïd qu’elle porte autour du cou.

Cette pratique n’a rien d’un hobby, mais tout d’une philosophie de la vie, qui se manifeste par des prodiges. À Manhee, Claire dit que « la seule façon de changer les choses, c’est de tout regarder à nouveau très longtemps ». Des clichés permettent cela. Ainsi, les photos prises par Claire vont aider à remonter le temps et à dévier le cours des événements afin que le sort de Manhee ne soit plus le même.

Ce don bienfaisant s’intègre merveilleusement au cinéma de Hong Sang-soo, qui lui aussi brise fréquemment la continuité chronologique pour modifier le point de vue. Alors que la jalousie caractérise la patronne, et la médiocrité le réalisateur (cf. la scène où il humilie Manhee en raison de son apparence vestimentaire), Claire est une figure lumineuse de l’humanité, à la fois humble, lucide et tout de même mystérieuse. Elle constitue un personnage idéal de cinéma, d’autant que, comme dans la plupart des films de Hong Sang-soo, elle porte sa part de mélancolie. On laissera le spectateur découvrir la scène où Claire confie à Manhee le malheur qu’elle vient de vivre en même temps que l’amour qui l’accompagne. Cette scène est aussi simple qu’émouvante, à l’image de ce film enchanteur.

La Caméra de Claire, Hong Sang-soo, 1 h 09.

Cinéma
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