Procès de Tarnac – Jour 12

Trois plaidoiries de la défense dégonflent les éléments à charge et soulignent la vacuité d’un dossier frisant la manipulation.

Ingrid Merckx  • 29 mars 2018 abonné·es
Procès de Tarnac – Jour 12
© photo : ALAIN JOCARD / AFP

Le procès politique aura-t-il lieu ? « Il est temps, mesdames les juges, madame la présidente, de libérer les prévenus de ce fiasco. » C’est par ces mots que Me Marie Dosé, l’avocate d’Yildune Lévy, conclut sa plaidoirie en ce 12e jour d’audience, avant-dernière du procès de Tarnac.

L’avocate relève le niveau d’éloquence qui s’est plutôt cantonné au terre à terre hier. Olivier Christen a tout fait pour éviter le procès politique, quitte à s’emberlificoter dans des détails techniques si alambiqués qu’il a fini par faire croire à la vacuité des éléments à charge pointés par la défense. « Si on en est à débattre de savoir quel est le meilleur lieu de la nuit à Paris pour acheter des cigarettes : Nation ou Pigalle, à 2h44 du matin, c’est qu’on n’a pas grand chose dans le dossier… », cingle Marie Dosé, pas tendre avec ses confrères.

Le procès politique, elle y revient, avec vigueur : « On ne leur reproche pas leur mode de vie, a rappelé le ministère public ? Ici ! Vous ne leur avez pas reproché madame la présidente ! Mais pendant dix ans, on les a assimilés a une “pseudo secte”… », dénonce-t-elle en évoquant les huit prévenus et le « péril rouge », bel appât pour une droite déliquescente.

Le procureur s’est offusqué de la récupération de l’affaire par la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot Marie – qui a improvisé une conférence de presse express dans son bureau pour féliciter le succès des arrestations de Tarnac – comme par certains députés qui se sont émus des opérations ? « Mais qui a commencé ? », lance l’avocate qui dit très bien comprendre que les prévenus ne soient pas restés les bras croisés. « Dès lors que l’autorité enfreint le code de procédure pénal, on ne peut pas demander à la défense de se contenter du code de procédure pénal… »

Et Marie Dosé de rappeler : « Le hasard des surveillances allait conduire à constater le basculement vers le terrorisme. » Une phrase du dossier qui date de 2015. Après sept ans de procédure, toujours l’accusation de terrorisme… C’est parce qu’il participait à des mouvements sociaux que Julien Coupat était surveillé, c’est parce qu’ils étaient surveillés avec Yildune Lévy qu’ils ont été suivis en Seine-et-Marne. La nuit où devait passer un train Castor transportant des déchets nucléaires…

La piste allemande jamais suivie

« Ils se savaient surveillés ? Mais qui le dit ? », interroge Marie Dosé. Mon confrère conseil de la SNCF s’est étonné que Julien Coupat et Yildune Lévy n’aient pas revendiqué le sabotage. Mais peut-être parce qu’ils étaient innocents ! Ah non, selon mon confrère, ils l’ont fait, la preuve est dans L’insurrection qui vient… où il s’est dépêché de trouver un passage correspondant… C’est vertigineux… on a quitté la sécurité judiciaire. »

Yildune Lévy a participé non aux événements de Vichy contre un sommet de ministres de l’Intérieur sur les migrations – reprochés à d’autres prévenus – mais à une manifestation contre le fichier Edvige, où se trouvait la LDH mais aussi le MJS, « c’est dire si c’était subversif ! », ironise Marie Dosé. « On a découvert hier, au bout de dix ans de procédure qu’il n’y avait pas de groupe de Tarnac. Mais si on n’a pas de groupe de Tarnac, on a un couple qui part en week-end… On va avoir du mal à retenir l’association de malfaiteurs, madame la présidente. Monsieur le procureur aurait dû aller au bout : cette accusation n’a pas de sens ! »

Marie Dosé est volubile. Sa plaidoirie est pleine de nuances. Le volume monte et descend. Ses chutes sont accueillies par des rires. C’est intelligent. Parfois presque trop joué. L’avocate tient son public. Un public qui a été chauffé par des débats parfois d’assez haut niveau dans ce procès, quand il ne s’enlisait pas dans la vase de la Marne, ou ne se perdait pas sur les petites routes d’un département que le procureur a jugé peu romantique.

Marie Dosé en profite pour faire tomber les éléments à charge les uns après les autres dans un pêle-mêle qui file la farce. La mise en scène ne servant qu’à soutenir des éléments de droit. Le procès ne se tient pas devant des jurés mais devant un tribunal. La carte bleue, qui n’a pas pu servir d’alibi, les tubes qui n’ont pas pu être trouvés invasés puis visibles à deux jours d’intervalles…

Manipulations ?

Me Tymoczko prend le relai sur le même mode, en faisant dégringoler des éléments qui relèvent selon lui de la « manipulation » : la balise sous la Mercedes, les PV de renseignements, la carte bleue… Il lâche : « Vous n’avez dans ce dossier aucun élément pouvant incriminer qui que ce soit. » Il angle sa plaidoirie sur la dépendance du Parquet vis à vis de l’exécutif. L’impartialité du tribunal. Et les signes de déloyauté dans le dossier Tarnac.

Le signal le plus fort étant peut-être selon lui que le sabotage dont sont accusés Yildune Lévy et Julien Coupat ait été revendiqué par des activistes allemands sur lesquels personne n’a enquêté._

Maître Claire Abello avait ouvert le bal des plaidoiries du jour en prenant à sa charge le démontage des éléments pesant contre Manon Glibert et Christophe Becker, Elsa Hauck, Mathieu Burnel et Benjamin Rosoux. Les deux derniers pour « refus de prélèvement ADN ». L’avocate a plaidé la relaxe, effarée par une instruction qui n’a apporté aucun élément nouveau au dossier et par un ministère public qui n’a fait qu’essayer de regonfler des PV policiers.

Claire Abello a vérifié les documents trouvés chez le couple Glibert-Becker : ils auraient été perdus, et non volés. Elle a fouillé la littérature juridique, et n’a pas déniché de jurisprudence pour « tentatives de faux » pesant sur Christophe Becker : soit il y a faux, soit il n’y a pas faux. Ni parmi les peines relatives à des événements en manifestation correspondant à ceux reprochés à Bertrand Deveaud et Elsa Hauck. Pas de plainte, pas de victimes, pas de dégradation, pas de traces des prévenus concernés sur le PV de surveillance à Vichy, qui ciblait Julien Coupat, lequel n’apparaît pas clairement sur prise là-bas. « Reste la corde… , a poursuivi l’avocate : prévoir de tirer sur une barrière avec une corde est-il passible de cinq ans de prison pour association de malfaiteurs ? », a-t-elle lancé.

Studieuse, précise, elle a réclamé des « relaxes juridiques » et confié n’avoir pas compris le passage du réquisitoire du procureur sur le « terrorisme sur les biens » sinon pour maintenir une « trace » de cette accusation…