Procès de Tarnac – Jour 4

L’audience a démarré par un recadrage assez ferme de la présidente avant d’attaquer le plat de résistance : le PV 104 dont l’authenticité est contestée par la défense.

Ingrid Merckx  • 16 mars 2018 abonné·es
Procès de Tarnac – Jour 4
© PATRICE PIERROT / CROWDSPARK

Corinne Goetzmann a-t-elle été recadrée elle-même ? Lui a-t-on renvoyé de mauvais échos du déroulement de ce procès de Tarnac qui se tient au palais de justice, à Paris, depuis le 13 mars ? Ou bien a-t-elle eu le sentiment qu’on avait profité de son indulgence ? Toujours est-il que la présidente du tribunal démarre ce quatrième jour d’audience par une mise au point assez ferme.

« Les débats ont été assez atypiques », commence-t-elle avant d’embrayer sur la raison d’être d’un procès pénal : l’existence d’un débat contradictoire. « Le tribunal a choisi de laisser un certaine colère s’exprimer… », mais cela ne doit pas se faire au détriment de certains usages, explique-t-elle en substance. En tête de ces « usages » : écouter les parties adverses et ne pas confondre le temps des discussions et le temps des plaidoiries.

Adresse spéciale à Me Jérémie Assous, avocat de sept des prévenus dont Julien Coupat, qui tient clairement et brillamment le crachoir depuis quatre jour ? Ou à Julien Coupat et Mathieu Burnel, qui n’hésitent pas à jouer les mauvais garnements en interrompant les débats de manière intempestive tout en faisant un peu comme s’ils étaient chez eux… « C’est un procès sérieux, les peines encourues sont de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende… Il y a des enjeux humains à ce procès… », enfonce Corinne Goetzmann, visiblement décidée à grever l’ambiance faussement détendue des premiers jours.

« Merci, Madame la présidente, pour le rappel de ces règles… que nous connaissons », grince Jérémie Assous. Vous évoquez le contradictoire, mais l’ensemble de cette affaire a été instruite à charge depuis le début. Les magistrats instructeurs n’ont fait que couvrir les agissements des policiers et justifier la véracité du PV 104 [sur la base duquel Julien Coupat a été incarcéré, ndlr]. La contradiction, cela fait dix ans qu’on l’attend ! », s’exclame-t-il pour justifier ce qui aurait pu apparaître comme des débordements. Sans compter que de contradictions, il ne peut y avoir complètement, ne manque pas de rappeler l’avocat.

En effet, les enquêteurs de police qui ont rédigé le « procès verbal cote D104 » ne se présenteront pas en personne le visage découvert au procès. Ils ont souhaité témoigner de manière anonymisée, alors que leurs noms sont connus. Si le tribunal a accepté un « transport sur place », le 23 mars, ce qui se fait assez rarement en correctionnelle, il n’a pas refusé l’anonymisation aux policiers qui l’avaient demandée. Et ça, ça ne passe pas pour la défense qui aurait aimé pouvoir lever certaines erreurs et approximations dans le procès verbal.

Celles-ci ont été détectées par trois magistrats dans un arrêt auquel renvoie la présidente du tribunal, et elles ont été reconnues par les enquêteurs concernés. Mais elles tiennent aux conditions de travail de la police, défend le procureur qui explique, par exemple, que les comptes rendus de filatures se basent sur des notes prises par les enquêteurs et non des données GPS…

« Les procès verbaux ne font pas foi, ils valent à titre de renseignements d’après l’article 530 du Code pénal », croit bon de préciser Corinne Goetzmann. « Procès verbal de renseignements ou procès verbal de constats ? », interroge Maître Assous après l’intervention du procureur qui explique que l’heure figurant sur les PV est celle de l’arrivée des fax et non des faits.

La présidente rappelle que la plainte de « faux en écriture publique » déposée par Julien Coupat et Yildune Lévy contre le PV 104 devant le tribunal de Nanterre a débouché sur un non lieu. Un appel. Un rejet. « Cette procédure est close. », ajoute-t-elle.

Mais faux reconstitué ou vrai avec des maladresses ? Ce procès verbal est décidément le nœud de l’affaire. Seul fil par lequel tirer des informations relatives aux rôles des enquêteurs placés en surveillance à Dhuisy en Seine-et-Marne cette nuit du 7 au 8 novembre 2008. Étaient-ils 5 + 15, 6 + 16 ou 5 + 12 ? Les rapports divergent. Sur les déplacements des enquêteurs aussi. Le témoin numéro 5 est signalé dans deux endroits différents. Il n’a jamais été interrogé sur ce point.

La DCRI a refusé de renseigner les noms des officiers ou les caractéristiques concernant les véhicules, au nom de la « protection de ses services ». « Bel exemple de contradictoire », siffle la défense… La présidente fait comme si elle n’avait pas entendu… Quand elle a lu son rapport, Julien Coupat est intervenu. « J’ai demandé à ne pas être interrompue », a-t-elle pesté. Il a levé la main, insistant. Elle s’est durcie.

« Qui a interrogé la DCRI ? », lance Jérémie Assous, raillant, sur l’anonymisation des témoins et faisant mine de confondre leurs numéros, « Mesdames… » La présidente goûte moins l’humour. Elle lui tend une feuille-repères à propos des témoins. En dehors du Parquet, ce tribunal ne compte que des femmes.

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