Procès de Tarnac – Jour 7

Mathieu Burnel réfute tout complotisme et interroge la capacité du groupe à se défendre face à des accusateurs masqués, anonymes et qui couvrent des équipes mal identifiées.

Ingrid Merckx  • 22 mars 2018 abonné·es
Procès de Tarnac – Jour 7
© photo : patrice pierrot / CrowdSpark

Mathieu Burnel est debout. Pas à la barre mais derrière la table du premier rang des prévenus. Julien Coupat à sa gauche. Benjamin Rosoux à sa droite. Volontiers souriant, parfois ferme, il s’énerve vraiment cette fois. Il parle vite, monte le ton, comme s’il allait manquer de temps pour exposer ses arguments. Il cite plusieurs points, mais l’un claque dans la salle :

« Madame la présidente, que vous persistiez à nous taxer de complotisme depuis le début de ce procès est insultant ! Le complotisme est ourdi dans le secret et vise à rendre les gens idiots. Cela ne nous concerne pas ! Nous verrons la semaine prochaine, notamment à la suite du témoignage de David Dufresne [journaliste indépendant auteur de Tarnac, Magasin Général] que nous avons fait l’objet de manœuvres ! Ça n’est pas du complotisme. »_ Et de dénoncer : « La DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure] œuvre en sous-main pour la SDAT [sous-direction antiterroriste] dans ce dossier, nous étions tous surveillés ! » Il souligne la « déloyauté » et le « double-fond » des services de renseignements et la propre capacité des prévenus à se défendre face à cela.

Corinne Goetzmann ne réagit pas sur le reproche adressé au tribunal. D’un ton administratif, presque trop administratif, elle reprend Mathieu Burnel sur un autre point où il estimait que le groupe avait été accusé sur la seule base d’un témoignage. Et elle cite scrupuleusement tous les éléments de surveillance figurant au dossier et exposés par le commissaire divisionnaire Fabrice Gardon la veille. Puis Corinne Goetzmann abrège le nouveau développement de Julien Coupat sur les données téléphoniques pour réclamer l’audition des témoins T1 et T2, enquêteurs de police de l’époque qui ont obtenu de ce tribunal de pouvoir témoigner de manière anonymisée.

La surveillance, une « somme d’initiatives personnelles »

Le témoignage assez laborieux de T2 donne plutôt raison à Mathieu Burnel. Le témoin, chef de groupe, chargé de superviser les opérations le 7 novembre et qui a participé à une très grande partie de l’enquête, invoque le « secret défense nationale » à plusieurs reprises. Ou répète, comme Fabrice Gardon la veille, et comme le procureur l’avant-veille, qu’un PV de surveillance décrit les personnes surveillées, pas celles qui les surveillent. Et que la surveillance c’est une « somme d’initiatives personnelles », un « processus dynamique ».

Qui étaient les enquêteurs ? Combien de véhicules ? À quels moments les policiers étaient-ils présents ? À quelle équipe appartenaient-ils ? Qui a vu personnellement Julien Coupat et Yildune Lévy ? Qui s’est approché à pied de leur véhicule ? Quand les policiers sont-ils partis se coucher ? Pourquoi ont-ils laissé un individu dont ils pensaient qu’il était dangereux s’approcher d’une voie ferrée ? Pourquoi ont-ils abandonné la filature quand la voiture est arrivée sur le périphérique parisien ? Qui a constaté les faits ? Qui a rédigé le procès verbal ? Qui l’a relu ? Qui a fait rectifier des erreurs ? Qui les a même constatées ?

Face aux questions de la Corinne Goetzmann, ces témoins anonymes sont un peu sur le gril, mais ils s’expriment depuis la salle des témoins. Ils sont filmés, mais derrière un store, en plan fixe. Les images sont retransmises dans la salle d’audience sur deux écrans. Ils n’ont ni corps ni visage. Juste des voix transformées, robotiques. Leurs souvenirs sont assez imprécis. Ils s’enlisent dans les procédures et la volonté de protéger des équipes mixtes – police judiciaire et renseignements – chacune couvrant l’autre sous l’égide de deux responsables jamais nommés mais vers qui tout converge.

Dans le déroulement du débat contradictoire – dont la présidente a rappelé que c’était la raison d’être d’un procès en correctionnelle –, ces policiers sont les personnes qui mettent en cause les huit prévenus de Tarnac. Qui sont, eux, assis pour le septième jour de ce procès et s’exposent physiquement et psychiquement à l’épreuve du tribunal. Cette disproportion dans la « contradiction » est frappante. Et la précision des questions du tribunal qui fait montre qu’il ne s’en laisse pas compter, ne parvient pas à rétablir l’équilibre…

Préserver sa sécurité ?

Quand elle interroge T2 sur les auditions de Jean-Hugues Bourgeois alias T42, la présidente demande : « À quel moment a-t-il dit la vérité ce témoin? » « Plutôt quand il était anonymisé, répond T2. Sauf s’il cherchait à préserver sa sécurité… » « Quand on veut préserver sa sécurité, on est susceptible de dire des choses inexactes ? », enchaîne alors Corinne Goetzmann en s’adressant à cet homme qui s’exprime dans une autre pièce, derrière un store et avec une voix transformée…