Une femme en colère

Lætitia Lambert joue elle-même l’amante révoltée de sa pièce, _Lilith_. Un road-movie amoureux où un couple vit une violente épreuve de vérité.

Gilles Costaz  • 7 mars 2018 abonné·es
Une femme en colère
© Lee fou messica pour le Pôle Média

Je suis en colère », dit une jeune femme. C’est la première parole de Lilith et c’est presque la dernière, bien qu’il y ait, au cours de l’heure et quart de représentation, toute une évolution. Nullement écrite en réaction à l’actualité – car il faut du temps avant qu’un texte de théâtre trouve ses partenaires et sa production –, l’œuvre de Lætitia Lambert, composée « avec la complicité de Cédric Romain », rejoint les prises de parole et les débats qui se sont amplifiés après l’affaire Weinstein : la femme n’est-elle pas l’inégale de l’homme, et comment mettre fin à cette inégalité ou à cette oppression ?

Lætitia Lambert s’interroge, elle, à travers la fiction. Son personnage de femme part en voyage avec un amant. Lui est marié. C’est juste une escapade, à moins que les amoureux s’accordent un peu plus de temps. On ne sait pas. La conversation ne va pas être de tout repos. Tant de choses sont à mettre en question, tant de fureur dans la tête de la femme, tant d’habileté dans les réponses de l’homme.

Lilith, dans les textes juifs anciens, est une femme démoniaque. Mais, dans la culture contemporaine, elle est devenue la figure de la femme qui refuse la domination de l’homme dans la vie sociale et sexuelle. La Lilith moderne de Lætitia Lambert est en voiture : tout en conduisant, tout en s’allongeant sur un lit – la pièce est un road-movie –, elle prend à parti son partenaire sur son assurance de mâle et débusque ses lâchetés et une tranquillité dominatrice qui s’appuie sur des siècles de machisme. Lui tente d’éviter les coups, s’amuse de ces reproches, mais sent sa carapace se percer.

Les questions se bousculent. Qu’est-ce que le plaisir au moment même où il intervient ? Comment supporter l’infidélité d’un homme ? Et comment l’homme peut-il admettre qu’une femme ait des aventures multiples ? L’homme fuit, temporise, se fâche peu. Elle navigue entre la passion et un besoin irrépressible de lucidité. À l’horizon de leur affrontement et de leur amour secoué d’implosions, il y a peut-être un nouvel équilibre, si difficile à atteindre. Un troisième personnage viendra donner une dimension presque mythique à ce moment plutôt réaliste, au dialogue volontiers cru et tranchant. Mais la conclusion laisse apparaître l’espoir d’une harmonie nouvelle, à inventer, sans doute.

Lætitia Lambert, qui est auteure, actrice et cinéaste, s’implique ici en jouant elle-même le personnage de la femme. Longue chevelure rousse (ce qui la rapproche des représentations picturales de Lilith), blouson de cuir jaune, courte jupe noire, elle est à la fois séduction, guerre et ironie. Avec elle, Fabrice Michel, dont la tenue noire se fond dans la nuit, passe lentement du second plan au premier. Ils ont une grande présence et sont, subtilement, comme le feu et l’eau. Mais l’eau n’éteint jamais le feu ! Comme pour mieux faire entendre la force corrosive des mots, Lee Fou Messica enveloppe les personnages dans une mise en scène nocturne, douce et secrète. Des lignes bleues se dessinent dans un paysage nocturne qui se devine plus qu’il ne se perçoit. Les acteurs mettent eux-mêmes en place certains éléments du décor, partiellement conçu par Noëlle Ginefri comme une série de jouets : des cubes et des cylindres noirs figurent à la demande la voiture et la chambre de ces amants partis en goguette et soumis à une violente épreuve de vérité.

Il y a là une histoire, une belle mise en images théâtrale, mais cette Lilith est surtout un dialogue, une mise à feu, une soirée de l’intranquillité, des mots coupants, comme on en entend rarement au théâtre, qui surprennent et saisissent le public, qui, comme on dit en boxe, nous cueillent dans nos douillets retranchements.

Lilith, Les Déchargeurs, Paris Ier, 01 42 36 00 50. Du 13 mars au 7 avril.

Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes