Chômage : « Le service public vous désintègre socialement »

Mélanie, Jean-François, Marie et Yacine témoignent de leurs difficiles relations avec l’administration de Pôle Emploi.

Quentin Bleuzen  • 25 avril 2018 abonné·es
Chômage : « Le service public vous désintègre socialement »
© photo : JACQUES DEMARTHON/AFP

« La nana en face n’a vu que les cases à cocher dans son ordinateur »

Mélanie, 47 ans

Pôle emploi, c’est un suivi purement administratif, les conseillers ne sont pas assez qualifiés pour accompagner la majorité des chômeurs. Je me suis inscrite à l’ANPE en 2002 en tant que directrice artistique. Mon métier n’était pas répertorié dans les listes de l’administration. Un profil comme le mien, jusqu’en 2007, c’était la planète Mars pour Pôle emploi. Comment voulez-vous qu’on me conseille ?

Jusqu’en 2013, j’ai alterné les périodes d’intérim, de CDI et de chômage. En 2014, je ne trouve plus rien, alors je décide de me reconvertir dans la garde d’enfants. Je suis une formation d’auxiliaire en puériculture, tout en faisant du baby-sitting pour pouvoir manger. Mais, fin 2015, les drames s’accumulent : une double fracture du genou, le décès de ma mère, les attentats en bas de chez moi, et je subis les foudres d’un pervers narcissique. Pour ne rien arranger, je me sens comme un ovni dans la formation. Béquilles, piqûres tous les jours, problèmes administratifs… En mars, je craque et décide d’arrêter les cours. Là, une engueulade hallucinante. La conseillère me met la pression, me fait du chantage : si je ne retourne pas en formation, on m’enlève toutes mes allocations. J’ai fini par faire un scandale. Il a fallu que je rencontre la directrice, que je me justifie par un courrier, que je passe devant une commission pour qu’on accepte de me redonner mes allocations. Ce n’est qu’une anecdote parmi tant d’autres. Avant ça, en 2014, je me suis retrouvée dans une situation où je recevais 249 euros par mois et où l’on voulait m’en reprendre 300, parce qu’il y avait des heures de baby-sitting qui n’avaient pas été déclarées par les parents.

De temps en temps, on rencontre des personnes géniales, avec du bon sens, ça aide à désenrayer la machine pour pouvoir avancer. Mais elles se font rares. Un an après cet incident, une nouvelle conseillère m’a dit : « Écoutez, dans votre domaine, la concurrence est rude, je vous souhaite de trouver du travail, mais je n’y crois pas trop. Vous avez fait un an tranquille, il va falloir vous bouger maintenant ! » J’étais très mal psychologiquement, et la nana en face n’a vu que les cases à cocher dans son ordinateur. Mais je n’en veux pas aux conseillers : c’est le process qui leur demande de faire ça. Pour refaire mon dossier d’allocations, j’ai mis trois semaines à y aller. À chaque fois que je vais là-bas, je suis lessivée. Il y a plein de personnes dans mon cas.

« J’ai l’impression que je dois déplacer une montagne »

Jean-François, 47 ans

Depuis 2007, j’alterne les périodes de chômage et les petits boulots. Je cherche du travail à mon rythme, avec des résultats un peu médiocres. Personnellement, je n’ai jamais été contrôlé. Je fais ma déclaration tous les mois sur Internet à la médiathèque. Je pourrais la faire par téléphone, mais c’est plus simple par Internet : comme ça, je peux vérifier ce que j’ai rempli. Pôle emploi demande si on a travaillé, si on touche une pension de retraite, si on a été en arrêt maladie ou en formation, si on est toujours à la recherche d’un emploi… et on coche en fonction de sa situation. En aucun cas on ne m’a pas demandé précisément quelles démarches j’avais effectuées.

Au début, j’avais souvent des entretiens, mais maintenant, que dalle. De temps en temps, je reçois des offres, mais je n’ai plus de suivi personnel. Alors je fais des démarches de mon côté. Je suis en contact avec des associations comme Solidarités nouvelles face au chômage : leurs ateliers me boostent, ils permettent d’éviter le burn-out, parce que ça existe aussi dans la recherche d’emploi. Il y a des moments de déprime, où l’on est comme déboussolé, on ne sait plus trop où on va… Ça m’est arrivé d’avoir des moments d’isolement, de ne plus savoir où j’en étais. À ce moment-là, la soupape explose.

Intégrer un BTS MUC (management des unités commerciales) m’a aidé à m’en sortir. Je l’ai terminé en juin 2017, mais je n’ai pas eu l’examen. Ce qui me tue, c’est que toutes les formations sont payantes. Mes demandes de financement auprès de Pôle emploi n’aboutissent jamais.

Parfois, si certains chômeurs décrochent, ce n’est pas par paresse, mais parce qu’ils ne savent plus où aller. C’est ce qui m’est arrivé. Ça glisse, je me mets la pression, je deviens trop exigeant, j’absorbe toutes les informations, dont les négatives, et ça se transforme en déprime. J’ai l’impression que je dois déplacer une montagne pour y arriver, pour m’en sortir. Mais je ne me décourage pas, je pratique des activités : des formations en anglais, des ateliers théâtre. La recherche d’emploi, ce n’est pas toujours évident, il faut avoir un bon mental. Chaque demandeur d’emploi a ses problématiques, il y a toujours des difficultés. On n’a rien sur un plateau.

« J’ai encore la foi pour contester les décisions »

**Marie***, 58 ans

J’ai 58 ans, j’alterne les petits boulots et les périodes de chômage depuis sept ans. Récemment, on m’a proposé une « offre raisonnable d’emploi » à 120 km de chez moi, soit une heure et demie de route. Pourtant, dans mon dossier, il est bien mentionné que je cherche un travail à maximum quarante-cinq minutes de route. De plus, l’offre en question ne correspondait pas à mes qualifications. Ça n’a pas empêché Pôle emploi de me « tracer un refus ». C’est-à-dire d’indiquer que je refuse cette « offre raisonnable d’emploi ». J’ai contesté la décision, mais je n’ai toujours pas de réponse… Au bout de deux « traçages », on est radié de Pôle emploi. Je trouve ça sidérant !

Pourtant, je ne suis pas à plaindre, j’ai encore la foi pour contester les décisions. Avant ça, on a essayé de me mettre dans une catégorie qui cherche à temps partiel. Mais non : je cherche du travail, j’ai besoin de gagner ma vie. En province, avec un Smic, après l’entretien de la voiture, le plein, il ne reste plus grand-chose. Sur le site de Pôle emploi, il y a des CDI à soixante-dix heures mensuelles maximum. Qui peut vivre avec ça ? Ce n’est pas un emploi, c’est juste un complément d’activité. Une offre d’emploi décente, c’est un travail qui permet de payer ses factures, de remplir son frigo et de nourrir ses enfants.

Ce qui me révolte, c’est qu’on nous met des étiquettes. On m’a déjà refusé une formation parce que je suis mariée : « Votre conjoint travaille, vous n’êtes pas prioritaire. » Qui irait dire ça à un homme ? Plus globalement : les cheminots, c’est toujours des privilégiés ; les infirmières, elles ne sont jamais contentes ; les demandeurs d’emploi, ce sont des emmerdeurs qui n’acceptent aucun boulot… Je dis stop ! Arrêtons de diviser les gens.

(*) Prénom d’emprunt.

« Le service public vous désintègre socialement »

Yacine, 37 ans

Au chômage depuis septembre 2016, j’ai une formation en droit privé. En ce moment, je prépare des concours pour me réorienter dans l’enseignement. En janvier, ma conseillère m’a signalé que mon CV en ligne n’était pas complet, alors que, de mon côté, il l’était. Je lui ai adressé plusieurs mails, avec en pièce jointe une capture d’écran de mon espace personnel, mais elle ne les a jamais reçus. J’ai donc été convoqué pour actualiser mon CV, le 21 février. Hélas, n’ayant pas accès à Internet à ce moment-là, je n’ai pas été informé de ce rendez-vous. Par ailleurs, il m’aurait paru inutile, vu que, pour moi, mon CV était déjà actualisé. Le 27 mars, le directeur décide donc de me radier durant deux mois de la liste des demandeurs d’emploi, pour avoir raté cette convocation. Pour un simple entretien manqué, on me radiait deux mois, j’allais me retrouver à la rue ! Et peu importe la durée : un, deux ou quatorze mois, c’était pareil pour moi, les factures, elles, sont mensuelles, dans tous les cas, c’était la fin…

Heureusement, je me suis aperçu que j’avais deux comptes Pôle emploi et que ma conseillère n’avait jamais reçu mes pièces jointes, car son serveur n’est pas assez performant. C’est quand même hallucinant qu’on les fasse travailler avec du matériel non adapté ! Surtout quand on voit où ça peut mener. Si le service public n’a pas de quoi recevoir les communications, où va-t-on ? Et je trouve ça fou qu’au lieu de vous aider à vous réinsérer professionnellement, il vous désintègre socialement.

J’ai donc envoyé un courrier au directeur pour lui expliquer ma situation, lui dire que sa décision était une condamnation. La semaine dernière, on m’a notifié que la radiation était annulée, ça a été un grand soulagement. Mais je vois plus loin que le bout de mon nez. Beaucoup de personnes n’ont pas forcément accès aux services informatiques ou ne sont pas à l’aise avec ces outils. Comment font-ils, ces gens-là ? Ils se retrouvent jetés à la rue du jour au lendemain, sans possibilité de répliquer ? Si même le service public vous frappe au lieu de vous aider, il n’y a plus qu’à plier bagage. Je vous avoue que ça m’a traversé l’esprit. Au bout d’un moment j’étais dégoûté d’être français, dégoûté d’être en France.

Travail
Publié dans le dossier
Chômeurs : Le tri par le vide
Temps de lecture : 9 minutes

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