Des CRS en réponse aux étudiants

Paradoxalement, les évacuations violentes des établissements renforcent la mobilisation contre la loi Vidal. Y compris des enseignants.

Alexandra Scappaticci  • 18 avril 2018 abonné·es
Des CRS en réponse aux étudiants
© photo : Les policiers bloquent un cortège d’étudiants de Lille-II, le 11 avril. crédit : PHILIPPE HUGUEN/AFP

D ans toutes les universités où il y a des amphis paralysés […]_, ce sont des groupes qui ne sont pas des étudiants qui viennent, ce sont, pour reprendre Audiard, “des professionnels du désordre”. »_ De cette phrase lapidaire, Emmanuel Macron a résumé dans son interview du 15 avril le mouvement étudiant en cours. Pourtant, dans les assemblées générales, à Paris comme en province, ce sont bien des étudiants qui mènent le débat et les actions, et font face aux CRS. Alors que la mobilisation des élèves et des personnels universitaires contre le projet de réforme de l’enseignement supérieur prend de l’ampleur, les interventions policières se multiplient… et renforcent la détermination.

Selon le dernier décompte du ministère de l’Enseignement supérieur, cité par l’AFP, quatre universités sont entièrement bloquées ou fermées : Jean-Jaurès à Toulouse, Paul-Valéry à Montpellier, Rennes-II et Paris-VIII. Onze autres sites sont perturbés ou bloqués. Selon des sources non institutionnelles, une quarantaine de facs seraient mobilisées à travers la France, à plus ou moins grande échelle. Pour Yann Le Lann, maître de conférences en sociologie à Lille, « on a affaire à une intrusion des forces de l’ordre dans les universités, qu’elle soit ou non autorisée par leurs présidents, totalement disproportionnée et violente ».

Le 13 avril, les locaux occupés du campus Berges du Rhône, de l’université Lyon-II, ont été évacués au petit matin, sur demande de la présidence. Dans un communiqué, des doctorants et des salariés de l’université ont déclaré : « Nous condamnons la répression policière et dénonçons les mensonges de la présidence, qui prétend que cette évacuation s’est faite “dans le calme”, alors même que des étudiants ont été frappés par les CRS et qu’une personne mobilisée, avant de finir en garde à vue, a été matraquée au point d’en avoir le crâne ouvert. »

Le 12 avril, près de 200 étudiants étaient délogés de la Sorbonne par les CRS, après avoir tenté, pendant plusieurs heures, d’y organiser une assemblée générale. Le même jour, en soirée, des CRS étaient présents sur le site de Tolbiac, faisant craindre une évacuation. Près de mille personnes – étudiants, enseignants, cheminots et élus – se sont alors rassemblées en solidarité devant les grilles, pendant que, dans la cour, la Fanfare invisible jouait au milieu des étudiants.

Le lundi 9 avril, entre 100 et 200 étudiants de l’université de Nanterre, réunis pacifiquement en assemblée générale dans un amphithéâtre, étaient violemment délogés par les CRS. Sept personnes ont été interpellées dans la foulée pour rébellion. Selon une étudiante, « le nombre de personnes mobilisées a explosé depuis ». Victor, doctorant, confirme : « Les personnels de notre université étaient mobilisés depuis de longs mois. Ils le sont d’autant plus aujourd’hui que la violence gestionnaire s’est doublée d’une violence physique à l’encontre de nos étudiantes et étudiants réunis en assemblée générale. » Les assemblées générales qui ont suivi ont systématiquement condamné cette intervention, et une partie des personnels se sont mis en grève reconductible dans la foulée. Le lundi 16 avril, la quasi-totalité de l’université était bloquée, les partiels ont dû être reportés.

Le 9 avril, les CRS étaient également présents à l’université Lille-II, sur le campus de Moulins, pour le premier jour des examens. Choqués, des étudiants, des enseignants et des employés administratifs se sont alors réunis spontanément contre leur présence et ont été « allégrement gazés », selon un maître de conférences présent. « Ce qui s’est passé est très grave, considère Thomas Alam, enseignant en science politique. On est en période d’examens, il n’y avait pas de troubles constatés, aucune atteinte à la sécurité des biens et des personnes, c’était une décision totalement disproportionnée, d’où notre appel à la grève. » De son côté, Valentin, étudiant, se réjouit presque : « Sans l’intervention des policiers, le mouvement ne serait pas où il en est aujourd’hui. Leur présence, jusque devant les amphis, a vraiment ému les étudiants. Aujourd’hui, on a des personnes qui n’avaient jamais manifesté qui s’engagent, qui militent, qui tractent… » Depuis, une partie des étudiants boycottent les partiels. Ils se rendent en salle d’examen, restent une heure (durée minimale légale) et rendent leur copie avec l’annotation « en grève » ou une explication sur les raisons de leur mobilisation.

Dès le 26 mars, le Collectif des universitaires contre les violences policières et l’Association nationale des candidats aux métiers de la science politique constataient avec inquiétude « la multiplication des recours à la force contre des mobilisations étudiantes, parfois au sein même des enceintes universitaires », à la suite des interventions sur le campus de Grenoble et au Palais universitaire de Strasbourg le 22 mars, à l’université de Bordeaux le 6 mars et à Lille le 7 décembre. Le 15 avril, Emmanuel Macron a réfuté l’idée d’une « coagulation des mécontentements ». Pourtant, le déploiement sans réserve de CRS risque bien de « coaguler » les étudiants contre le gouvernement.

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