Les enseignants aussi rejettent Parcoursup

Les professeurs ne croient ni en la faisabilité ni en la philosophie du nouveau système de sélection des étudiants.

Agathe Mercante  • 25 avril 2018 abonné·es
Les enseignants aussi rejettent Parcoursup
photo : Des enseignants et des membres du personnel de Paris-X Nanterre débattent, le 18 avril, du blocage de la fac.
© Yann Castanier/Hans Lucas/AFP

I l ne faut pas gâcher les chances des étudiants qui ont travaillé toute l’année », plaide le président de Paris-X Nanterre, Jean-François Balaudé, le 19 avril, sous les huées des quelque 1 500 étudiants réunis en assemblée générale sous un soleil de plomb. « Vous êtes supposé être notre représentant, et vous ne faites rien pour nous », l’interpelle Victor Violier, désigné pour rendre compte aux étudiants du bilan de l’assemblée générale du personnel, qui s’est tenue le matin même. Si les professeurs et d’autres acteurs de l’établissement soutiennent le blocage de Nanterre par les étudiants, beaucoup appellent au dialogue. « Mais pas tant qu’on nous impose le calendrier de Parcoursup ! », prévient leur porte-parole du jour.

Le logiciel d’orientation Parcoursup, remplaçant dès cette année le très critiqué APB (Admission post-bac), est au cœur de toutes les préoccupations. Pierre angulaire de la loi « orientation et réussite des étudiants » (ORE), ce dispositif permet aux universités de « sélectionner » les lycéens à l’entrée à la faculté. Après presque trois heures de débat, une écrasante majorité des salariés présents à l’AG s’est exprimée en faveur du maintien du blocage, au moins jusqu’au 2 mai.

Alors que les mouvements étudiants se poursuivent en dépit des interventions violentes des forces de l’ordre – comme à Nanterre, le 9 avril, ou plus récemment à Paris-I Tolbiac, avec une évacuation nocturne –, la grogne des professeurs se fait de plus en plus forte. Hausse du nombre d’heures travaillées, difficultés à siéger dans les commissions de désignation des étudiants, manque de moyens… Les raisons de la colère des enseignants du supérieur sont faciles à comprendre. Pour bon nombre d’entre eux cependant, la fracture est plus sérieuse. Dans une tribune publiée le 9 avril (1), ils étaient 425 à dénoncer une « réforme absurde ».

« Je ne suis pas un fervent soutien des blocages comme mode d’action, prévient Annliese Nef, maîtresse de conférences en histoire médiévale à Tolbiac, mais cela m’apparaît comme une arme assez efficace pour se faire entendre de la ministre de l’Enseignement supérieur. » Présente lors de l’occupation de l’établissement, elle constate : « Cette situation a permis à chacun de réfléchir à l’université et à l’enseignement que l’on veut dispenser aux étudiants. » À la structure hiérarchique classique, aux amphithéâtres bondés et à l’administration surchargée des facultés françaises, l’enseignante estime que la loi ORE ajoutera « une forme de libéralisme qui n’a pas sa place ». « La loi transforme le savoir en une marchandise comme une autre », déplore-t-elle, dénonçant le morcellement des licences et la création d’équivalences de diplômes à l’échelle européenne.

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« On propose des parcours de formation qui doivent amener les étudiants à faire ce qui leur plaît, à choisir les matières dans lesquelles ils seront les meilleurs. Or, ceux qui savent déjà ce qu’ils veulent sont aussi les plus formatés. Comment amener les autres au savoir ? », s’interroge l’enseignante. Une réponse anticipée aux propos du politiste Alain Garrigou. Dans une tribune publiée dans Le Monde du 23 avril, ce professeur de l’université de Nanterre estime que la sélection a déjà cours au terme de la première année, à l’issue de laquelle de nombreux élèves échouent. Ce modèle, les étudiants n’en veulent plus. « À Tolbiac, élèves et professeurs veulent repenser la pédagogie générale », se félicite Annliese Nef.

La question des réorientations est au cœur des préoccupations au-delà du cercle des enseignants du supérieur. Présent à l’AG de Nanterre, David Pijoan, professeur de mathématiques dans un lycée de Colombes (Hauts-de-Seine), raconte : « Il y a quelques années, j’ai eu un élève de terminale qui est parti en fac de médecine et n’a pas passé le cap de la première année. Je l’ai recroisé mardi dernier sur le campus de Nanterre : il fait désormais de la sociologie et il y réussit très bien ! »

À l’aune de la sélection – sur dossier – que sont autorisées à pratiquer les universités, quel avenir pour les recalés de la première année de licence ? « On autorise le droit à l’erreur aux adultes, pourquoi pas aux jeunes ? », s’interroge David Pijoan. « Aujourd’hui, on individualise les jeunes, on les pousse à devenir, dès 17 ans, des autoentrepreneurs de leur avenir », renchérit Annliese Nef.

À Lille, des professeurs dénoncent eux aussi la réforme. « Les étudiants sont des personnes qui réfléchissent et font preuve d’un grand courage », estime Thomas Alam, maître de conférences en sciences politiques et gréviste de la première heure. « Ils ont mis en péril leur année sans aucune garantie, pour dénoncer l’instauration de la sélection et le bannissement des plus faibles des universités. »

Tout comme lui, les voix s’élevant contre la sélection remontent jusqu’aux plus hautes instances. Ainsi, les présidents de Rennes-II, Lyon-II Lumière, Bordeaux-Montaigne, des universités du Mans et de Poitiers ont demandé l’ouverture de négociations sur la question. Indiquant, pour l’heure, ne pas se conformer à la procédure de Parcoursup. Leur lettre est restée sans réponse. Et les autorités de poursuivre les « déblocages » des facultés occupées. À croire qu’au sortir des études on oublie rapidement les difficultés rencontrées et les parcours imparfaits. Emmanuel Macron, désormais président de la République, n’a-t-il d’ailleurs pas échoué au concours de l’École normale supérieure ?

(1) Sur francetvinfo.fr