L’État, premier licencieur

La baisse des emplois aidés pèse sur l’emploi et la croissance.

Jean-Marie Harribey  • 4 avril 2018 abonné·es
L’État, premier licencieur
© photo : MANUEL COHEN / MCOHEN

Les grandes entreprises multiplient les « plans sociaux », euphémisme néolibéral pour désigner les licenciements pour cause de profits à augmenter. Mais le plus grand licencieur de France, c’est l’État, par le bras des gouvernements, le précédent comme l’actuel. Le nombre d’emplois aidés (dits contrats uniques d’insertion [CUI] depuis la réforme de 2010, mais avec deux variantes : contrat d’accompagnement dans l’emploi et contrat initiative emploi) a été réduit de 459 000 à 310 000 en 2017. Cette baisse sera poursuivie en 2018 jusqu’à 200 000, dans le cadre des « parcours emploi compétences » (PER) censés relayer les CUI depuis le 1er janvier.

Les PER semblent au premier abord justifiés : suivant le rapport de Jean-Marc Borello, présenté en septembre 2017, l’employeur devra relever du public et non pas du secteur marchand, pour lequel l’effet d’aubaine atteignait 58 % des emplois aidés. Mais les collectivités territoriales et les associations qui proposaient des contrats aidés devront désormais apporter de nouvelles preuves de formation à leurs employés : « remise à niveau, préqualification, période de préprofessionnalisation, acquisition de nouvelles compétences ». Et Pôle emploi veillera à l’application de ces critères et limitera ainsi la reconduction des contrats. Surtout, les préfets ne disposeront plus d’un nombre de contrats possibles, mais d’une somme maximale : 1,6 milliard d’euros pour 2018, à partager entre les PER et les aides par l’activité économique. Les préfets pourront faire varier la prise en charge entre 30 % et 60 % du Smic brut, alors que celle-ci pouvait aller jusqu’à 75 % auparavant.

Sur les 200 000 PER prévus, 22 000 sont pour l’outre-mer, 30 500 pour accompagner les élèves en situation de handicap, 11 500 correspondent à une réserve à dégeler éventuellement par le gouvernement. Restent 136 000 PER pour couvrir tous les autres besoins. Les collectivités territoriales sont vent debout contre la baisse des contrats aidés. Déjà, les temps d’activités périscolaires, ainsi que les nouvelles activités, sont menacés. Et ce n’est pas étranger à l’imbroglio des temps scolaires.

La note de conjoncture de l’Insee de mars 2018 fait déjà état d’un affaiblissement de la croissance, après une prétendue embellie en 2017, et la baisse des emplois aidés pèse sur l’emploi. Forcément, tant que la majorité des économistes et des politiques s’obstineront à dire que les emplois publics, aidés ou non, sont improductifs, on entretiendra l’illusion que la baisse des dépenses publiques favorise l’activité économique. L’hôpital en souffrance, l’école en désespérance, le rail en déshérence, est-ce la faute aux fonctionnaires et aux cheminots ?

Redisons-le : le statut des travailleurs des services publics n’est pour rien dans la perte de qualité ; au contraire, la dégradation de leurs conditions de travail va de pair avec celle du service. La situation est d’autant plus absurde que, laminer les services publics, c’est affaiblir la production de richesse utile, de valeur économique réelle. Donc, au lieu de jouer le rôle d’employeur en premier ressort [1] pour qu’il donne le la de la bonne économie de transition, l’État est le licencieur en premier ressort.

[1] Voir « L’État, employeur en premier ressort », Jean-Marie Harribey, _Politis n° 1425, 27 octobre 2016.

Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac

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