Évacuation du camp du Millénaire : et après ?

Plus de 1 000 migrants qui vivaient dans des conditions précaires ont été « mis à l’abri ». Pour autant, le flou quant à leur avenir persiste.

Malika Butzbach  • 31 mai 2018
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Évacuation du camp du Millénaire : et après ?
© photo : Samuel Boivin / CrowdSpark

Sur la place du Général-Leclerc, à Nogent-sur-Marne, trois jeunes Soudanais discutent au soleil, à côté d’un square fleuri. « On est mieux ici que dans la rue ! » Jusqu’à hier, ils dormaient sous les tentes du camp du Millénaire, apparu en décembre 2017 à côté de la porte d’Aubervilliers. Mercredi 30 juin, au petit matin, 1 016 personnes sont montées dans des bus lors de l’opération de mise à l’abri organisée par les services de l’État.

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C’est la 34e de ce genre dans la capitale depuis 2015. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a qualifié l’opération de « mise à l’abri et de contrôle des situations administratives », insistant sur la seconde partie. « Difficile de ne pas y voir un coup de communication », ironise un membre de Médecins du monde, puisque chacune des précédentes évacuations de camp se composait de l’examen des situations des personnes réfugiées.

Structures surchargées

Dans le gymnase Leclerc de Nogent-sur-Marne, 100 hommes majeurs sont hébergés. « La grande majorité, 60 personnes, se sont déclarées sans démarches », explique un membre de Coallia, l’association qui gère le centre d’hébergement. Il montre le recensement des situations administratives : selon leur situation, les personnes seront orientées vers différentes structures. Sept d’entre elles sont en procédure d’asile et sept autres ont un rendez-vous avec la préfecture pour déposer leur demande.

© Politis

Ils pourront être envoyés dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), mais ces structures sont actuellement surchargées. « Et puis, lorsqu’on les envoie dans des petites villes de provinces, beaucoup reviennent à Paris, témoigne le membre de Coallia, dans le hall du gymnase. L’année dernière, nous avons vu des gens partir du centre d’hébergement pour aller en Cada, ils sont revenus le soir même. » Alors il faut trouver des places en centre d’accueil et d’orientation (CAO) ou en centre d’accueil et d’examen des situations (CAES).

Le sort incertain des dublinés

Les dublinés sont les exilés qui ont enregistré leurs empreintes dans d'autres pays d'Europe. Selon les accords européens de Dublin, c'est le pays d'arrivée (généralement la Grèce ou l'Italie) qui doit prendre en compte et examiner la demande d'asile de ces personnes. Certaines ont été déboutées de l'asile dans un autre pays d'Europe, d'autre veulent à tout prix venir en France. Elles sont 40 000 à attendre de (re)déposer une demande d'asile dans l'Hexagone. En théorie, elles devraient être renvoyées dans le pays où leurs empreintes ont été prises ; on parle alors de transfert. Mais cette procédure nécessite l'autorisation du pays concerné : en 2017, environ 6% des personnes sous le coup de la procédure Dublin ont effectivement été renvoyées.

Parmi les personnes hébergées dans le centre de Nogent-sur-Marne, 13 sont dites « dublinées » (voir encadré). Pour elles, l’incertitude demeure : seront-elles transférées dans le pays de l’UE où elles ont laissé leurs empreintes ? Le gouvernement se montre particulièrement intransigeant sur cette question : depuis février, le placement des « dublinés » en centre de rétention a été légalisé et Gérard Collomb a affirmé qu’il ne renoncerait pas au moindre transfert. Et ce, quelle que soit la situation des migrants. Pourtant, la majorité des personnes qui vivaient sur le camp du Millénaire sont originaires d’Afrique de l’Est et viennent de pays dont l’insécurité n’est plus à démontrer (Soudan, Érythrée, Somalie). Mais la France refuse d’examiner leur demande d’asile, arguant que ce n’est pas à elle de le faire.

En Seine-et-Marne et en Essonne, les structures réquisitionnées sont restées vides. Alors que plus de 1 600 migrants dormaient sur les bords du bassin de la Villette, seuls 1 016 sont montés dans les bus affrétés. « C’est étrange qu’il n’y en ait pas plus, remarque Louis Barda, coordinateur des programmes migrants de Médecins du monde à Paris. Plus de 500 personnes ont quitté le camp avant l’aube, préférant rester à la rue que dormir dans les lits des centres d’hébergements. Certains sont partis car ils étaient ici en transit : leur véritable but c’est l’Angleterre. Mais je pense que la majorité d’entre eux ont fui par peur d’être renvoyés. » Alors que le ministère de l’intérieur a affirmé que cette opération serait la dernière, aucune association ne croit en cette promesse. Si certaines saluent l’opération de mise à l’abri, cela ne réglera pas de problème. « Si un dispositif calibré de pré-accueil n’existe pas sur l’ensemble du territoire ce type de phénomène va recommencer », répète Pierre Henry, directeur général de l’ONG France Terre d’asile.

Société
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