Le malheur des un·e·s…

Le Point vient de consacrer sa couverture et un épais dossier à « la renaissance » de la Grèce.

Sébastien Fontenelle  • 4 juillet 2018 abonné·es
Le malheur des un·e·s…
© photo : île grecque de Skiathos. crédit : Robert Harding Productions / Robert Harding Heritage / roberthardi

L’obscénité peut des fois mettre un peu de temps à bien apparaître pour ce qu’elle est. Mais d’autres fois : non. D’autres fois, elle se donne immédiatement à voir dans toute sa hideur.

L’hebdomadaire Le Point, où nichent quelques-uns des plus éminents représentants (1) de l’éditocratisme tartufier (2), vient ainsi de consacrer sa couverture et un épais dossier à « la renaissance » de la Grèce, dont chacun·e sait qu’après avoir été soumise par la troïka à l’odieux traitement que l’on sait elle est en réalité complètement exsangue (3).

Le Point rappelle d’ailleurs que « les Grecs ont perdu 40 % de pouvoir d’achat », que « 30 % d’entre eux sont tombés dans la pauvreté », que « 45 % des jeunes sont au chômage » (cependant que « ceux qui travaillent sont sous-payés »), et que les « suicides » ont augmenté de 30 %.

Mais de l’addition de ces atrocités – qui ne disent qu’une partie du malheur des Grec·que·s et de la violence démesurée qui leur est faite depuis des années –, cette publication gavée de subventions étatiques tire donc, toute vergogne bue (4), la conclusion que la Grèce, par la grâce de la cure d’austérité qui lui a été infligée, va mieux.

Après quoi, Le Point suggère à ses lectrices et lecteurs de passer là-bas quelques jours dans l’une des six villas sélectionnées par l’une de ses journalistes. L’une d’elles, « sylvestre », est ouverte à la location pour « 10 000 euros à 14 000 euros la semaine ». Une autre, plus « cristalline », est un peu moins onéreuse, mais d’un prix qui tout de même garantit que l’on n’y sera jamais dérangé par l’indigénat sous-payé : « De 744 à 1 191 euros la nuit. »

Une troisième enfin, plus « épurée » et située « dans le sud de l’île de Skiathos », est certes un tout petit peu plus chère, « de 1 971 à 5 250 euros la nuit ». Mais cet investissement ouvre un accès « à une petite plage privée », et franchement : existe-t-il meilleur endroit pour célébrer entre ami·e·s la spectaculaire résurrection d’un pays dont les habitant·e·s les plus âgé·e·s – celles et ceux, du moins, qui ne se seront pas donné la mort d’ici là – verront, en 2019, leurs retraites diminuées encore de 10 à 18 % ?

(1) Que des mecs, maintenant que j’y pense.

(2) Facilement reconnaissables à ce qu’ils rédigent de la main droite des appels hallucinés à réduire la dépense publique en se gavant, de la gauche, de subventions étatiques – ou à ce qu’ils dénoncent la « tyrannie des susceptibles »dans le même temps qu’ils attaquent en justice des confrères dont la prose leur a déplu.

(3) Lire, sur ces sujets, l’excellent papier de Dimitris Alexakis : « Souveraine dette. À propos de l’accord sur la Grèce du 21 juin 2018. »(https://oulaviesauvage.blog/2018/06/25/souveraine-dette/)

(4) Et sans que l’on sache, au juste, si c’est son seul (et coutumier) cynisme thatchérien qui a motivé cette indécence, si ce séidisme se mêlait là d’un surcroît gratuit de cruauté – ou si tout cela n’est finalement que l’étiage ordinaire d’une certaine méchanceté journalistique dominante.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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