« La Reprise », de Milo Rau : Scène du quotidien

Dans La Reprise, Milo Rau, continue de mettre le théâtre à l’épreuve de la violence de l’époque.

Anaïs Heluin  • 25 septembre 2018 abonné·es
« La Reprise », de Milo Rau : Scène du quotidien
© photo : Hubert Amiel

Pour Milo Rau, le théâtre se doit d’être lié aux grandes tragédies de l’époque. Il est censé pouvoir interroger les mécanismes du pire tout en questionnant son pouvoir de les enrayer. Dans Hate Radio, par exemple, il reconstituait une émission de la Radio-télévision libre des Mille Collines (RTLM), qui appelait quotidiennement les Hutus à éradiquer les Tutsis. Avec Five Easy Pieces, il créait la polémique en mettant des enfants en scène dans une pièce consacrée à l’affaire Dutroux, tandis que son triptyque composé de The Civil Wars, Dark Ages et Empire sondait, à travers la biographie de quatre acteurs, les zones les plus sombres de l’histoire européenne récente. À chaque fois différent, le frottement entre le théâtre et l’extérieur suscite un trouble.

Créé au NTGent, dont Rau, depuis, a pris la direction, puis joué au Tandem à Douai et au Festival d’Avignon avant d’arriver au Festival d’automne, La Reprise, Histoire(s) du théâtre (I) est une nouvelle pelletée dans l’insoutenable. Cette fois, Milo Rau s’intéresse au meurtre en avril 2012, à Liège, d’Ihsane Jarfi, un jeune homosexuel qui fêtait l’anniversaire d’un ami. Mais, cela, La Reprise ne le dévoile que lentement, au fil des témoignages des six interprètes sur leur rapport au théâtre en général et le processus de création du spectacle en particulier. Depuis le casting organisé par le metteur en scène pour trouver des comédiens prêts à se confronter à la violence du sujet jusqu’à la reconstitution finale de la scène de meurtre.

C’est Johan Leysen, grand acteur flamand et compagnon de longue de date de Milo Rau, qui se livre d’abord à l’exercice. Il mêle Shakespeare à l’affaire. Il affirme que « jouer, c’est comme livrer une pizza, c’est la pizza qui est importante ». Nulle hiérarchie entre théâtre et quotidien chez Milo Rau, mais une cohabitation qui souligne la force du collectif éphémère présent sur le plateau en même temps que ses failles. Ses doutes quant à la capacité du théâtre à « changer le monde », objectif qui figure en tête des dix points du Nouveau Manifeste de Gand écrit par Milo Rau au moment de sa nomination à la direction du NTGent.

Ce texte, bref mais radical, pose par exemple l’obligation d’inclure dans chaque création au moins deux comédiens non professionnels – le magasinier Fabian Leenders et la gardienne Suzy Cocco dans La Reprise – et limite le volume total du décor à vingt mètres cubes, ce qui doit le rendre « transportable dans une camionnette ». Obéissant à toutes ces règles, La Reprise participe d’une réflexion sur la nécessité de transformer les rapports du théâtre à la société, qui fait du NTGent un lieu à suivre de près.

La Reprise, Histoire(s) du théâtre (I), Festival d’automne, Théâtre Nanterre-Amandiers, Nanterre (92), 01 46 14 70 00. Jusqu’au 5 octobre.

Théâtre
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