Une honte française

Le Panama, sous pression de l’Italie, vient de retirer pavillon et immatriculation à l’Aquarius. L’humanitaire devient ainsi illégal. Matteo Salvini fait la loi en Europe, et la France s’y conforme. Triste bilan.

Denis Sieffert  • 26 septembre 2018
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Une honte française
© photo : PAU BARRENA / AFP

Décidément, le gouvernement français ne se grandit pas dans l’interminable feuilleton de l’Aquarius. Après Matignon, c’est le ministre des Finances, Bruno Le Maire, qui, mardi, a dit « non » au navire humanitaire dont l’équipage demandait le droit d’accoster à Marseille. Nos ministres, en toute mauvaise foi, continuent d’ânonner le même refrain : c’est au pays le plus proche d’accueillir les migrants. En l’occurrence, l’Italie. Point besoin de droit ou de politique européenne, c’est la géographie qui gouverne ! Paris feint d’ignorer qu’une extrême droite xénophobe est au pouvoir à Rome ou, pire encore, lui confère une détestable légitimité en imitant sa politique. Mais la guéguerre avec l’Italie n’est pas la principale motivation du gouvernement français. La volonté de flatter une partie de l’opinion sensible à la propagande de Marine Le Pen et de Laurent Wauquiez pèse davantage dans ce comportement sans principes.

Dans cette situation, il faut saluer une fois de plus le courage des humanitaires qui ne renoncent pas dans l’adversité. Les soutenir est l’objectif de l’appel que nous publions cette semaine. Car ce n’est plus seulement que des ONG doivent se substituer à la défaillance des États, elles doivent aussi résister à leurs attaques. La dernière en date étant la décision de Panama, sous pression de l’Italie, de retirer pavillon et immatriculation à l’Aquarius. L’humanitaire devient ainsi illégal. Matteo Salvini fait la loi en Europe, et la France s’y conforme. Triste bilan.

C’est donc peu dire que l’Europe va mal et qu’elle n’incarne pas les grands principes dont elle se réclame les jours de fête. Mais à New York, c’est un autre épisode de la désagrégation de la communauté internationale qui se joue actuellement. L’Assemblée générale de l’ONU a des allures de fin d’époque. Non seulement il n’y a rien à espérer qui puisse nous rapprocher de la paix en Syrie, au Yémen ou en Libye, mais c’est un discours de guerre, celui de Donald Trump contre l’Iran, qui devait dominer les débats. Comme jadis la Société des Nations, l’ONU est née du beau rêve kantien de « paix perpétuelle ». Mais ce sont toujours les chimères d’après-guerre. Le « plus jamais ça ! » est aussi crédible qu’une promesse d’ivrogne. Comme son ancêtre, l’ONU semble aujourd’hui condamnée. Non par une guerre mondiale, mais par une multiplication de conflits apparemment sans issue. La SDN, qui avait promis le désarmement, a fini dans l’invasion de la Mandchourie par les Japonais, et sous les bombes de la Luftwaffe.

L’ONU agonise au Moyen-Orient. Signe de la maladie qui l’emporte, les chefs d’État des deux pays les plus peuplés du monde, le Chinois et l’Indien, n’ont même pas jugé utile de faire le voyage. Pas plus que le président russe, impliqué dans quelques-uns des conflits les plus sanglants de la planète. Avec son « America first », le président américain – bien présent, lui – est l’inquiétant représentant de ce que Bertrand Badie appelle « l’archéo-souverainisme » (1).

Il forme avec Vladimir Poutine un attelage paradoxal. Le premier est proche des suprémacistes blancs, le second a ressourcé son pouvoir dans l’encens d’une Église orthodoxe moyenâgeuse. Ces deux-là se livrent une guerre commerciale sans merci, tout en partageant fondamentalement la même vision du monde. Si le président américain allonge tous les jours la liste noire des entreprises et des personnalités russes avec lesquelles toute transaction est interdite, c’est beaucoup pour se dédouaner d’une trop grande proximité idéologique avec le maître du Kremlin, auquel il doit sans doute son élection. Il pousse le zèle jusqu’à inscrire sur la liste des bannis l’officine russe Internet Research Agency, accusée d’avoir diffusé de la propagande en sa faveur pendant la campagne électorale de 2016…

Au Moyen-Orient, l’un soutient toujours, en Syrie, la plus sanglante des dictatures ; tandis que l’autre, par Arabie saoudite interposée, provoque au Yémen l’une des plus graves catastrophes humanitaires de notre époque, où la famine s’ajoute aux bombes saoudiennes. Quant au conflit israélo-palestinien, il illustre depuis soixante-dix ans l’impuissance de l’ONU. Plus de deux cents résolutions sont restées lettres mortes ou se sont heurtées au veto américain. Ce conflit est comme une apologie de la force contre le droit. Et il est, quoi qu’on en dise, plus que jamais central. Trump ne militerait pas rageusement pour déstabiliser l’Iran, si ce n’était une « commande » israélienne (2).

Dans ce monde de brutes, le « multilatéralisme » dont Emmanuel Macron se prétend l’apôtre paraît aussi sympathique que dérisoire. Mais ce n’est qu’une posture si l’on n’oppose pas aux « archéo-souverainistes » une autre conception sociale. Toute la politique du président français va en sens inverse. Voilà pourquoi son discours peut toujours provoquer les applaudissements, il sonne creux. On a le sentiment, face à ce sombre tableau, que les sociétés civiles, les ONG, les humanitaires sont amenés à jouer de plus en plus les premiers rôles. Là est l’espoir.

(1) Quand le Sud réinvente le monde, Bertrand Badie, La Découverte, à paraître le 4 octobre.

(2) On ne saurait trop recommander à nos lecteurs le hors-série que nous publions avec nos amis d’Orient XXI : « Israël-Palestine, une si longue histoire ». En vente, ce 27 septembre.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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