L’accueil, une politique locale

Des élus français créent une « association des villes et territoires accueillants » et dénoncent le renoncement de l’État.

Agathe Mercante  • 10 octobre 2018 abonné·es
L’accueil, une politique locale
© photo : Sur le camp de Grande-Synthe, en août 2018.crédit : Philippe HUGUEN/AFP

Comment offrir une réponse humaine aux migrants et demandeurs d’asile ? Comment assurer les missions de l’État quand ce dernier s’en désintéresse ? Alors que le Manifeste pour l’accueil des migrants – déjà presque 50 000 signataires – interroge les pouvoirs publics, des collectivités territoriales y répondent. Le 26 septembre, à l’initiative de Damien Carême, maire Europe écologie-Les Verts de Grande-Synthe (Nord), a vu le jour l’Association nationale des villes et territoires accueillants. Le projet est né des suites de la Convention nationale sur l’accueil et les migrations, qui s’est tenue les 1er et 2 mars 2018. _« Nous avons réalisé que nous n’étions pas tout seuls à galérer et à nous sentir abandonnés », explique Catherine Bassani-Pillot, conseillère municipale de Nantes. Comme une évidence, les discussions se sont poursuivies bien au-delà. Regroupant des villes comme Nantes, Grenoble ou Briançon, l’association s’est fixé pour but de refuser « toute politique remettant en cause l’accueil inconditionnel, entravant les libertés fondamentales et constituant une forme de violence institutionnelle ». Un « serment du Jeu de paume » en faveur des migrants, qui leur permet de mettre l’État face à ses responsabilités. « L’objectif de l’association, c’est de dire : “Voilà, il y a des politiques migratoires qui patinent, fabriquent de la misère et restreignent les droits humains. Là où nous sommes, nous, élus de territoires, nous voyons bien que cela n’est pas acceptable” », résume Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire de Strasbourg en charge de l’action sociale territoriale. Dans sa charte, l’association propose de reconnaître la notion de présence temporaire, dite « de transit », de répondre aux besoins vitaux des arrivants en acquérant un statut de refuge. Et pour compléter ces demandes, une exigence du respect du droit des mineurs non accompagnés et des jeunes majeurs.

Damien Carême estime que l’accueil doit reposer « sur un triptyque associations-État-villes ». Si deux des membres de ce trio répondent à l’appel, l’État, lui, fait cruellement défaut. « À Nantes, nous organisons à sa place », raconte Catherine Bassani-Pillot. L’État, pour sa part, leur oppose une fin de non-recevoir. « C’est sa responsabilité, l’accueil est une compétence régalienne », rappelle Marie-Dominique Dreyssé. Faute de places ? Faute de personnel ? Faute de moyens ? « C’est surtout un manque de volonté politique », dénonce Damien Carême. L’élu de Grande-Synthe n’oublie pas sa rencontre avec Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur. « Il m’a dit : “On veut leur faire passer l’envie de venir chez nous.” » « L’État ne manque pas d’engagement quand il s’agit de réprimer l’immigration », abonde Éric Piolle, maire de Grenoble et membre de l’association. Le retour de l’ex-« premier flic de France » sur ses terres lyonnaises a d’ailleurs de quoi donner des sueurs froides à l’association. Symbole s’il en est, « l’assemblée constituante de l’association s’est tenue à Lyon , rappelle Corinne Iehl, maire du VIIe arrondissement de Lyon et conseillère métropolitaine. Nous craignons le pire avec son retour ». Une politique de l’inaction nauséabonde, matinée çà et là de beaux discours devant la communauté internationale, qui est venue à bout des plus motivés. « J’ai quitté La République en marche en décembre 2017, la circulaire Collomb [qui permettait aux préfectures de recueillir des informations sur la situation administrative des personnes dans les centres d’hébergement d’urgence] a été la goutte d’eau », raconte Halima Menhoudj, adjointe au maire de Montreuil (Seine-Saint-Denis), ancienne candidate LREM pour les législatives en 2017, et désormais membre de l’Association des villes et territoires accueillants.

Communistes, socialistes, écologistes… l’association recoupe toutes les sensibilités. « Des élus de La République en marche devraient bientôt nous rejoindre », prédit Damien Carême. Certains membres de l’association s’étonnent cependant de la position décousue de La France insoumise (LFI) : l’éventail d’opinions est vaste, de Djordje Kuzmanovic, porte-parole de LFI, qui avait en septembre dans L’Obs dénoncé ceux qui « répètent, naïvement, qu’il faut accueillir tout le monde », à la députée Clémentine Autain, signataire du Manifeste pour l’accueil des migrants. « Les militants de La France insoumise nantais font un travail formidable et ils ont honte des propos tenus par les cadres », assure Catherine Bissani-Pillot.

S’il transcende les mouvances politiques, le projet de l’Association des villes et territoires accueillants s’inscrit dans un cadre plus vaste et rejoint l’initiative, portée par les maires de Barcelone et de Paris, des « villes refuges » ou encore des « villes rebelles ». À l’image de Domenico Lucano, maire de Riace (2 000 habitants), qui a accueilli des migrants pour repeupler sa commune de Calabre, mais est maintenant poursuivi en justice par l’État italien, accusé d’avoir organisé des mariages blancs… « Nous devons soutenir les mairies qui sont ou seront sur le gril car elles ont été accueillantes avec les migrants », déclare Myriam Laïdouni-Denis, élue EELV de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nul besoin de traverser les Alpes pour trouver des exemples de poursuites contre les aidants aux migrants, le fameux « délit de solidarité » français l’a déjà démontré. « Les collectivités vont devoir se mettre en situation de désobéissance », s’indigne l’élue régionale.

En France, en Allemagne, en Italie ou en Belgique, les maires refusant de se soumettre aux lois sont de plus en plus nombreux. La charte des villes et territoires accueillants dénonce « l’absence de consensus entre les États de l’UE aboutissant à la violation des droits fondamentaux et à un manque de solidarité européenne ». Éric Piolle le déplore : « La mondialisation telle qu’elle a été pratiquée a sapé le corps social, certains espèrent désormais se cacher derrière des murs. »

Alors qu’on dit les Européens hostiles à l’accueil des personnes en situation irrégulière (ou en demande de régularisation), les manifestations de soutien aux « nouveaux justes » se multiplient. En témoignent les marches organisées dans Riace, où les pancartes arborent « Tiens bon ! Continue à lutter ». « Il faut regarder l’immigration telle qu’elle est et travailler avec la société civile, estime Jaklin Pavilla, première adjointe au maire de Saint-Denis. Aux yeux de la population, elle est considérée comme quelque chose de lourd, de compliqué, de contraignant, mais elle ne l’est que lorsqu’on la présente comme une charge. » La tâche de l’association sera aussi de déconstruire les discours, tenus par le Rassemblement national (ex-FN) et volontiers repris par la droite, voire la majorité macroniste.

« Non, les migrants ne volent pas le travail des Français », martèle Bozena Wojciechowski, maire adjointe d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). S’il était encore besoin de le dire. « On a trop donné aux Français le sentiment que la France était un pays raciste », juge Catherine Bassani-Pillot, qui dit assister à une « prise de conscience de la population ». En témoignent les huées qui ont accueilli le passage de Marine Le Pen, le 12 septembre, à Châteaudouble, village du Var qui accueillera bientôt 72 migrants. Car si certaines villes ont connu de vives oppositions à l’installation de ces centres d’aide et d’accueil, les retours positifs abondent. « Ceux qui s’y opposent, ce sont ceux qui ne sont pas au contact des migrants eux-mêmes », résume Damien Carême.

À signer et faire signer >> Le Manifeste pour l’accueil des migrants

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