Les dictatures de la mal-pensance

Le Figaro doit tout de même savoir que les « bien-pensant·e·s » ne pratiquent ni le meurtre ni la torture.

Sébastien Fontenelle  • 10 octobre 2018 abonné·es
Les dictatures de la mal-pensance
© Steve BannonnMichal Cizek / AFP

Ce dimanche, comme on sait, Jair Bolsonaro, nostalgique assumé de l’abominable dictature militaire qui a régné par la terreur sur le Brésil (1) entre 1964 et 1985, a remporté le premier tour de l’élection présidentielle de ce pays.

Et ce lundi, pour saluer à sa manière toujours très particulière l’annonce de cette performance d’un candidat homophobe, misogyne et raciste, le bloc-noteur réactionnaire du Figaro a confectionné un billet de blog dont le propos est principalement d’encenser Steve Bannon – l’imprécateur d’extrême droite qui a dirigé en 2016 la campagne électorale de Donald Trump –, mais dans lequel, tout de même, il insère quelques considérations de son cru sur le Brésil, dont celle-ci, en guise de conclusion : « La dictature de la bien-pensance […] vaut bien celle des militaires brésiliens. »

Cette prose étonnante – où le progressisme, systématiquement présenté comme une bigoterie policière, est donc mis sur le même plan que des tyrannies mortifères – n’est certes pas nouvelle : dès 2005, le philosophe Alain Finkielkraut, reprenant mot pour mot une formule confectionnée quatre ans plus tôt par un éditeur fasciste, avait pareillement soutenu que « l’antiracisme » serait « le communisme du XXIe siècle », dont les effets seraient par conséquent comparables à ceux, par exemple, du totalitarisme stalinien (2).

La dictature militaire, dont Jair Bolsonaro a publiquement déploré en 2016 (3) qu’elle ait trop souvent commis l’erreur « de torturer et non de tuer », a fait au Brésil plusieurs dizaines de milliers de victimes, assassinées ou emprisonnées (et effectivement torturées), et le bloc-noteur du Figaro, pour exalté qu’il soit (et quelle que puisse être par ailleurs son éventuelle sympathie pour les droites bannonisées qui excellent dans le maniement des « alternative facts »), doit tout de même savoir que les « bien-pensant·e·s » ne pratiquent ni le meurtre ni la torture – et que son affirmation selon laquelle « la dictature [inventée par lui] de la bien-pensance […] vaut bien celle [bien réelle et effroyablement funeste] des militaires brésiliens » a pour effet de minimiser la gravité des atrocités commises par la seconde.

Mais peut-être considère-t-il – comme font souvent les gens comme lui – que la fin idéologique justifie les moyens, fussent-ils très méprisables, et que la flétrissure de la gauche « bien-pensante », dans laquelle il trouve depuis de (très) longues années d’inépuisables joies, vaut bien qu’on lui sacrifie aussi la mémoire des supplicié·e·s de la junte brésilienne.

(1) Avec, bien sûr, le constant soutien des États-Unis.

(2) Cette assertion, reprise ensuite au mot près par le journaliste d’extrême droite Éric Zemmour (qui émarge aussi – le monde est petit – au Figaro), avait valu à Finkielkraut d’être ovationné par un « ami », qui l’avait trouvée « extrêmement éclairante et féconde » : l’écrivain raciste Renaud Camus.

(3) Le Monde, 5 octobre 2018.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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