Pôle financier public ou groupe capitaliste ?

Le gouvernement veut rapprocher la gouvernance des établissements publics des standards des banques privées.

Dominique Plihon  • 10 octobre 2018 abonné·es
Pôle financier public ou groupe capitaliste ?
© photo : JOEL SAGET / AFP

L****e gouvernement vient d’annoncer la création d’un « pôle financier public » par le rapprochement de trois acteurs importants dont l’État est actionnaire : la Caisse des dépôts et consignations (CDC), la Banque postale (BP), filiale de La Poste, et la Caisse nationale de prévoyance (CNP), premier assureur français, privatisé en 1992, mais dont La Poste et la CDC sont restées actionnaires. Ce nouveau groupe financier public sera contrôlé par la CDC.

On pourrait penser qu’il y a une cohérence industrielle dans cette opération, puisque le modèle traditionnel de La Poste est sur le déclin, avec la chute rapide du courrier du fait de la concurrence des nouvelles technologies. Le discours du gouvernement est que, pour se renforcer, La Poste doit se développer sur d’autres secteurs, dont les services financiers très rentables de la « bancassurance ».

En réalité, cette justification industrielle de l’opération est trompeuse. On peut craindre que la BP, en passant sous le contrôle de la CDC, perde son rôle de banque de proximité exerçant des missions de service public. Cette inquiétude est fondée sur deux séries de raisons.

En premier lieu, on a pu constater que les filiales de la CDC sont souvent devenues des organismes financiers capitalistes, éloignés des objectifs de service public. Ainsi, la CDC a exercé une fonction majeure d’investisseur public dans deux domaines : l’équipement des collectivités locales et le logement social. Or, deux exemples témoignent de la financiarisation de ses filiales. Icade, société immobilière d’investissement, qui aurait pu jouer un rôle majeur dans l’aménagement du Grand Paris, se comporte comme un requin de la finance, ne cherchant que des opérations spéculatives, avec des rémunérations exorbitantes pour ses cadres. CDC Habitat et ses filiales ont construit dans le passé des logements sociaux à la périphérie des villes. Mais l’urbanisation galopante fait que ces terrains sont englobés aujourd’hui dans les villes et valent très cher. Au lieu d’œuvrer à la mixité sociale, CDC Habitat profite de cette évolution en faisant de la spéculation foncière et en revendant les terrains au profit de promoteurs peu sociaux. En clair, la CDC met en œuvre des processus de privatisation rampante. Désormais sous la tutelle de la CDC, la BP risque de suivre exactement les mêmes évolutions, déjà amorcées par des partenariats avec des acteurs comme la Société générale.

La seconde raison de s’inquiéter à propos de ce nouveau pôle financier public est liée à la loi Pacte sur les entreprises, qui sera votée prochainement. Le projet de loi transforme le statut de la CDC pour banaliser l’établissement public et le rapprocher des « standards du droit commun bancaire ». L’une des spécificités de la CDC, considérée comme le banquier de l’État, est d’être soumise à une commission de surveillance composée notamment de parlementaires et de représentants des salariés. Le projet de loi Pacte réduit les pouvoirs de cette commission dans le but de rapprocher sa « gouvernance » des standards des banques privées.

La vision d’Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaires, qui souhaite imposer la gouvernance des acteurs financiers privés à un établissement public, est-elle cohérente avec la poursuite des missions d’intérêt général ? On peut en douter !

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