Pourquoi nous soutenons l’appel pour l’accueil des migrants

TRIBUNE. Pour le collectif Citoyens souverains, le problème, c’est la libre circulation des marchandises et des capitaux, pas celle des personnes.

Collectif  • 8 octobre 2018
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Pourquoi nous soutenons l’appel pour l’accueil des migrants
© photo : DENIS MEYER / HANS LUCAS

Depuis 2014, 17 000 migrant.e.s sont mort.e.s noyé.e.s dans la mer Méditerranée.

Le collectif Citoyens souverains prône une VIe République sociale, écologique, démocratique, laïque, féministe et anti-raciste dans laquelle les citoyens seront souverains et donc libérés des traités de l’Union européenne, de l’Otan et des marchés financiers.

En 2017, le gouvernement français a enfermé 47 000 personnes en centre de rétention administrative, dont 300 enfants. Face à cette situation insoutenable, la gauche se déchire sur les réponses à apporter. Le constat est pourtant partagé que _« dans la mondialisation telle qu’elle se fait, les capitaux et les marchandises se déplacent sans contrôle et sans contrainte ; les êtres humains ne le peuvent pas », comme le proclame avec force le manifeste lancé par Regards, Politis et Mediapart pour l’accueil des migrants. Et la social-démocratie au pouvoir porte une lourde part de responsabilité en ayant mené des politiques à la fois libre-échangistes et anti-migrants, ressemblant trait pour trait à celles de Nicolas Sarkozy hier et d’Emmanuel Macron aujourd’hui. De ce juste constat sur la nature du système actuel, deux réactions sont habituellement opposées.

La première réaction consiste à dénoncer d’un même tenant la libre circulation des marchandises, des capitaux et également des personnes. Cette position, souvent assimilée de manière outrancière à l’extrême droite, était en fait la position du PCF au début des années 1980, et est défendue aujourd’hui encore par le MRC et par certains secteurs de la France insoumise. Ces courants reprennent l’idée que l’immigration provoquerait chômage et baisse des salaires. Or cette idée est à la fois fausse et foncièrement conservatrice, car elle renonce implicitement à l’ambition d’ une société anticapitaliste éradiquant le chômage et retirant au capital le privilège exorbitant consistant à imposer aux corps sociaux leurs conditions de travail. En revanche, il faut bien reconnaître à ces courants politiques leur clairvoyance sur les traités de libre-échange qui ont fait exploser le chômage dans les pays dits « du Nord » et détruit les économies des pays dits « du Sud ». Ainsi, les traités de l’UE ont été conçus dès l’origine pour mettre en compétition les économies européennes et interdire toute politique écologique et sociale, comme on l’a vu en France en 1982 et en Grèce en 2015. Ces traités imposent également aux pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique des accords de partenariat économique qui empêchent l’industrialisation de ces pays et détruisent leurs agricultures vivrières. La position consistant donc à se focaliser sur le libre-échange comme cause des migrations mérite donc selon nous d’être écoutée, et ses limites d’être réfutées sereinement.

Sortie du libre-échange

La deuxième réaction consiste à l’exact inverse à accepter comme acquis le libre-échange, tout en défendant également la liberté de circulation des migrants. C’est ce qu’a défendu Roger Martelli dans Regards, en adoptant une position courageuse et solidaire sur l’immigration, mais en complétant par cette affirmation que nous ne partageons pas : « _En aucune manière le protectionnisme n’est en état de combattre le fléau principal : la spirale désastreuse de la financiarisation, de la marchandisation universelle et de la dérégulation. » Cette affirmation a pourtant été contredite par plusieurs intellectuels comme Frédéric Lordon dans La Malfaçon : monnaie européenne et souveraineté démocratique, Aurélien Bernier dans La Démondialisation ou le Chaos, ou encore par Renaud Lambert et Sylvain Leder dans Le Monde diplomatique de ce mois-ci : Face aux marchés, le scénario d’un bras de fer. Et comme le rappelait feu Samir Amin dans _La Souveraineté au service des peuples, la sortie du libre-échange est une nécessité absolue pour permettre à chaque pays de se développer.

Concrètement, ceci signifie contrôler les marchandises et les capitaux, en leur imposant au cas par cas des normes sociales et environnementales ou des taxes. Et dans le cas d’un protectionnisme « solidaire » qui serait mis en œuvre sur le territoire français, ces taxes seraient reversées aux pays exploités afin de rembourser notre dette à leur égard. Entendu en ce sens précis, territorial et non identitaire, l’État-nation n’est rien d’autre que le cadre permettant de mettre en œuvre la volonté populaire et d’assurer les besoins fondamentaux de la population. C’est notamment le sens de notre combat commun contre Macron et l’Union européenne pour la défense des services publics nationaux comme la SNCF, et pour la nationalisation des entreprises d’intérêt général. Bien sûr, le cadre national n’est pas le seul possible, mais même lorsqu’il s’agit de résoudre des enjeux plus globaux comme la crise climatique, il est difficile d’imaginer une solution qui serait imposée d’en haut sans être au préalable validée par les peuples à l’échelle de chaque pays.

Le phénomène migratoire n’est pas un « problème » à régler

Cette conception de la nation comme incluant potentiellement l’ensemble des résident.e.s suppose donc évidemment que toute personne installée en France puisse jouir des mêmes droits que les autres. En fait, il ne s’agit que de renouer avec l’esprit de la Constitution de 1793 qui prévoyait : « Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. » À ce titre, il est urgent de cesser de penser le phénomène migratoire dans la grammaire intellectuelle dominante, en en faisant un « problème » à régler. Elle est un fait social qu’il faut prendre comme tel, constitutif de l’histoire même de l’humanité sur le temps long.

À ce titre, il s’agit d’assumer totalement une position internationaliste consistant à affirmer que les limites dont se dote un peuple souverain sont nécessairement poreuses et ouvertes sur les autres pays. Qu’une personne souhaite venir faire des études en France ou s’y rendre parce qu’elle y a trouvé un emploi compatible avec ses aspirations personnelles ne devrait pas poser quelque problème que ce soit dans une société solidaire. Au demeurant, ce propos n’est pas contradictoire avec l’idée de contester avec virulence l’ordre néolibéral mondial qui pousse les gens à quitter leur pays de force, en raison des guerres, de la misère et bientôt de la catastrophe écologique en cours. Elle en est le complément nécessaire, dans un paradigme sincèrement internationaliste et progressiste.

Un protectionnisme solidaire pour relocaliser l’économie

Ainsi, en renouant avec le passé révolutionnaire de notre pays, il est parfaitement possible de tenir une troisième position qui s’oppose point par point au système capitaliste actuel : celle-ci consiste à instaurer un protectionnisme solidaire pour relocaliser l’économie et favoriser les circuits courts, à cesser les ingérences militaires à l’étranger, tout en prônant la régularisation de tous les sans-papiers et la fermeture des centres de rétention administrative (CRA). Il faut dire avec force que l’immigration n’est pas un problème et dénoncer la stigmatisation dont les immigré.e.s – et les Français descendants d’immigré.e.s – font l’objet dans les médias et l’oligarchie dominants, qui sont à l’origine d’un véritable racisme venant d’en haut.

Cette position peut paraître hétérodoxe mais c’est pourtant la seule réellement conséquente à gauche : on ne peut pas mener de politique écologique ou sociale dans le cadre des traités de libre-échange, et notamment dans le cadre de l’Union européenne. Et on ne peut pas non plus défendre l’égalité des droits en cautionnant l’idée d’une compétition entre « nationaux » et « immigrés », ou en évoquant l’idée d’une « insécurité culturelle » qui serait provoquée par l’immigration extra-européenne. Il est donc temps que cette troisième voie, à la fois souveraine et solidaire, soit sérieusement considérée et débattue à gauche.

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Tribunes

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