« Gilets jaunes » : La gauche cherche la bonne réponse

Les partis sont soucieux de se dissocier de l’extrême droite, et sont tiraillés par l’articulation à trouver entre écologie et justice sociale.

Agathe Mercante  • 14 novembre 2018 abonné·es
« Gilets jaunes » : La gauche cherche la bonne réponse
© Idriss Bigou-Gilles/Hans Lucas/AFP

Alors que la gronde des gilets jaunes contre l’augmentation des prix à la pompe s’amplifie et que les appels à bloquer les axes routiers le 17 novembre prochain se multiplient, la discrétion de la gauche est révélatrice des difficultés nées de sa conversion (plus ou moins récente) à l’écologie politique. Si tous les partis s’en réclament désormais, ils doivent ici faire face aux ambiguïtés nées de l’opposition – du moins sémantique – imposée par le gouvernement entre social et écologie. « C’est la difficulté historique que connaissent les Verts, entre “ceux qui ont peur de la fin du monde et ceux qui ont peur de la fin du mois” », résume David Cormand, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts. « Notre position est de dire que le carbone a un coût et qu’il ne faut pas minimiser son impact sur la santé : cancers, maladies cardiovasculaires, etc. »

Comment, en effet, défendre la protection de l’environnement et le pouvoir d’achat des Français, alors même que le gouvernement, dialectiquement, a choisi de les opposer ? Comment justifier l’utilité, l’impératif d’une fiscalité carbone face à des manifestants qui s’inquiètent pour leur budget ? « Ça me tord le ventre pour l’écologie, mais comment pourrais-je expliquer que cette politique d’imposer les plus faibles est juste ? », s’interroge Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste. La question divise autant entre les formations politiques qui composent la gauche qu’au sein des partis eux-mêmes. Alors, iront-ils ou n’iront-ils pas soutenir les gilets jaunes le 17 novembre ?

« C’est un chemin de crête qu’il nous faut emprunter », analyse Clémentine Autain, députée La France insoumise de Seine-Saint-Denis. « Les réseaux d’extrême droite tentent de s’approprier cette colère », constate-elle, refusant de se rendre dans la rue à l’appel « de Minute et de Marine Le Pen ». Comme l’élue insoumise, des cadres du PS, d’EELV et de Génération·s n’iront pas soutenir le mouvement des gilets jaunes, bien qu’ils assurent tous comprendre les raisons de cette colère. « On ne peut pas renier tout ce qu’on a dit sur la transition écologique. On voudrait expliquer pourquoi, mais c’est difficile de le faire face à des gens qui parlent de prix, de coût de la vie », justifie Yves Contassot, coresponsable du pôle idées et démocratie à Génération·s. Mais alors, faut-il laisser aux partis de droite le soin d’appuyer et d’attiser la colère des Français ? « C’est comme sur la question de l’immigration. La grande question, à gauche, c’est de décider si on accompagne ça, même en offrant une réponse à contre-courant, ou si on tient des positions fermes », analyse-t-il.

Les opinions divergent. « On ne peut pas dire que les Français se fichent du climat parce qu’ils refusent d’être taxés et réduits à une vie de misère », attaque Stéphane Peu, député communiste de Seine-Saint-Denis. Au sein du groupe communiste de l’Assemblée nationale, décision a été prise de se rendre aux manifestations. « La colère, elle est citoyenne, elle n’appartient à personne, et la meilleure manière d’empêcher le Rassemblement national de se l’approprier, c’est d’être présents sur le terrain », veut croire Sébastien Jumel, élu en Seine-Maritime.

À La France insoumise, liberté a été donnée à chacun de s’inscrire ou non dans ce mouvement de colère. S’il n’a pas appelé à s’y rendre, le leader des insoumis, Jean-Luc Mélenchon en a souhaité le succès. « On ira manifester pour échanger avec les gilets jaunes, pour leur rappeler qu’écologie et justice sociale sont compatibles », explique Ugo Bernalicis, député du Nord.

Pour la gauche, le mouvement des gilets jaunes est un événement imprévu, de ceux qui imposent de redéfinir fissa une ligne, une tactique et de s’y adapter. Après un automne 2017 et un printemps 2018 passé à essayer de mobiliser les citoyens sur les réformes du code du travail et de la SNCF, la casse du service public, c’est finalement un mouvement contre la hausse des prix du carburant qui semble revêtir les habits de la révolte populaire. « Durant les premiers mois de son mandat, Macron a bénéficié de l’état de grâce, explique Jean-François Debat, secrétaire national du PS à la transition écologique. Et puis l’augmentation des carburants n’était pas dans son programme ». « Les gens réagissent quand ils sont concernés au premier chef », analyse, philosophe, le député insoumis du Nord Adrien Quatennens. « Les révolutions viennent rarement des syndicats ou des partis politiques », rappelle pour sa part Ugo Bernalicis.

Mais, pour l’extrême gauche, l’occasion est trop belle. Du NPA à Lutte ouvrière, les soutiens se multiplient. « On se mobilise avec constance. On a défendu les cheminots, les fonctionnaires et maintenant les travailleurs qui souffrent de cette hausse », justifie Olivier Besancenot, porte-parole du NPA, qui appelle à un rassemblement aussi vaste que possible de la gauche autour de cette colère. Mais la structure polymorphe de la gronde pourrait bien leur jouer des tours. Bien malin qui définirait avec précision les contours idéologiques du mouvement des gilets jaunes. « Il ne faut pas que le mot d’ordre soit dicté par le petit patronat qui refuse de payer ses impôts au détriment des travailleurs », prévient Nathalie Arthaud, porte-parole et candidate de Lutte ouvrière à la dernière présidentielle.

S’ils ne se croiseront pas dans les cortèges, les représentants de la gauche s’accordent à dénoncer l’enfumage du gouvernement. « Si Macron se souciait vraiment de la planète, il s’y prendrait autrement », estime Nathalie Arthaud. Car derrière la dialectique du gouvernement se cache le risque de « radicaliser » de façon définitive les électeurs contre l’écologie, perçue comme une punition. « On voudrait discréditer l’écologie qu’on ne s’y prendrait pas mieux », soupire Olivier Besancenot. Qui demande que le coût des cadeaux fiscaux accordés aux plus aisés ne soit pas répercuté sur les plus faibles. « Je veux bien qu’on se désintoxique des énergies fossiles, mais, une fois qu’on a dit ça, pourquoi ne taxe-t-on pas les entreprises polluantes ? Les autoroutes ? Les gros industriels ? » interroge Adrien Quatennens.

En effet, si la taxe pour les automobilistes augmentera bel et bien, rien n’est dit sur une potentielle taxation du fioul lourd utilisé par les bateaux de croisière et les porte-conteneurs. Pas plus que n’est prévu un impôt sur le kérosène qui alimente les cuves des avions. « C’est une insulte à la planète », résume, amer, David Cormand, qui préconise, en plus de ces taxations supplémentaires, de « réaménager et de réparer le territoire », de « détruire les zones commerciales qui ne sont accessibles qu’en voiture » et de « rétablir les services publics de proximité ».

« Il faut investir dans la rénovation thermique des bâtiments. Quand les habitations ne seront plus des passoires énergétiques, les gens verront vraiment leur facture baisser », ajoute Yves Contassot. À gauche, les idées ne manquent pas. Reste à être entendu par les gilets jaunes. Pour l’heure, les arguments se forgent.

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