Aux basques de Guillaume Meurice

Nous avons suivi l’humoriste une journée, de son rituel micro-trottoir jusqu’aux coulisses de l’émission « Par Jupiter ! ».

Jean-Claude Renard  • 19 décembre 2018 abonné·es
Aux basques de Guillaume Meurice
© photo : JEAN-CLAUDE RENARD ; Christophe Abramowitz/Radio France

Rendez-vous est pris mercredi 5 décembre. À 9 h 30 au marché du boulevard Vincent-Auriol, à Paris, sous les rails du métro aérien, station Nationale. La veille au soir, Guillaume Meurice a joué son spectacle à Thorigny, en Seine-et-Marne, Que demande le peuple ? Avant d’entrer en scène, vers 21 heures, il ne sait pas encore quel sera l’objet de sa chronique quotidienne du lendemain sur France Inter, dans l’émission « Par Jupiter ! », portée par Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek.

Guillaume trouve et choisit ses sujets, ses cibles, au dernier moment. Il s’agit d’être prêt à 8 heures du matin. « C’est ça, l’aventure ! » Au milieu de la nuit, l’aventure prend forme : « Un bon vieux marché à l’ancienne. » Il a sa question du jour, son angle, rebondissant sur le mouvement des gilets jaunes. « Puisqu’on ne s’en sort pas et que, selon les études, la production de viande est aussi polluante que les carburants, ne doit-on pas taxer la viande ? » Dans la foulée, il rédige déjà le canevas de sa chronique, son lancement, son fil conducteur. Une grosse partie du travail. Mais, « quand on écrit tous les jours, c’est plus facile, même s’il faut se méfier des automatismes et des tics de langage ».

Un casque vissé sur son crâne poivre et sel, micro estampillé France Inter et un Nagra à la main (un enregistreur professionnel qui tient dans la poche, loin du Nagra des précédentes générations, pendu autour du cou et pesant un âne mort), l’humoriste se présente auprès des commerçants et des consommateurs, sourire ouvert et regard taquin d’un sale gosse qui fomente son coup retors. « Bonjour, c’est un micro-trottoir pour France Inter, puis-je vous déranger une minute ou deux ? Voilà, puisque l’on parle beaucoup des taxes en ce moment, des gilets jaunes, patin couffin, j’ai pensé à une chose : une nouvelle taxe sur la viande ? »

Guillaume Meurice a l’art de ne pas se montrer importun. Sa haute toise débonnaire et dégingandée, son œil pétillant, sa voix enjouée et sa repartie joyeuse aident. On lui répond de bonne grâce. « Comme vous y allez ! C’est un peu extrémiste, non ? estime un passant, parce que je vous rappelle que la viande, à travers la TVA, est déjà taxée ! » Le chroniqueur arpente le marché clairsemé. Trop clairsemé. « Un sujet comme ça, c’est beaucoup de marche, beaucoup de piétinement », prévient-il. D’autant qu’il n’y a qu’un seul boucher, qui se refuse à tout commentaire, tandis qu’un client d’un âge certain, nanti d’une retraite taillée comme un cure-dents, râle d’emblée sur « le poids des taxes ». Dix heures passées. Toujours pas grand monde. Changement de direction : le marché de la Motte-Piquet-Grenelle, dans le XVe arrondissement, plus dense, plus animé, plus bourgeois, « un repaire de fillonnistes ! ».

Micro-trotteur

Autre décor, autre atmosphère sur le boulevard de Grenelle. Meurice y est reconnu par nombre de commerçants depuis qu’il a sillonné ce marché lors de la dernière campagne présidentielle. Clients et badauds saluent, il répond aux sollicitations d’un selfie, taille une bavette avec les gens. Mais chronique d’abord. Il faut six ou sept intervenants pour la dynamiser, en mêlant hommes et femmes de tous âges, avec une quinzaine de secondes de paroles pour chacun. Ce qu’il nomme « un son ». Pareil piétinement. Battre le pavé, c’est peu dire. Mais les gens se prêtent toujours de bon gré aux questions. « Vous consommez beaucoup de viande ? » Son cabas à la main, le client répond sans sourciller : « Pas trop, non… Une fois par jour. » On est soulagé, « il ne met pas de côtelettes d’agneau dans ses Chocapic ! » commentera plus tard l’humoriste.

Une autre cliente fait la moue à l’évocation de l’effet dévastateur de la consommation de viande sur l’environnement : « Vous savez, on est très manipulés… » « Ah ? rétorque Guillaume, c’est intéressant, si vous avez des infos… » La cliente se lance : « Je suis persuadée qu’on est manipulés dans tous les domaines. » Ce sont pourtant des faits… « Et alors ? reprend-elle, je suis très sceptique… » Le micro-trotteur est tombé sur « la Claude Allègre de la côte de bœuf, une viandardo-sceptique ». De quoi craindre la puissance « des lobbys de la carotte ».

Tout près, un retraité en gilet jaune arbore au feutre ses revendications sur le dos : « Après ma mort, tous ceux qui m’ont fait chier de mon vivant, je les ferai chier après ! Qui donc ? Ben tous les impôts, tout ce qu’ils nous volent ! » Taxé sur le ramassage des ordures, il a décidé de ne plus faire le tri recommandé. « Bakounine is back », s’amusera Guillaume dans sa chronique du jour.

Après chaque entretien, l’humoriste revient aussitôt à son Nagra tout en déambulant, enquillant les kilomètres de va-et-vient. Il écoute l’enregistrement, note les réflexions les plus pertinentes et impertinentes. Un premier tri. Traquant les contradictions, les biais cognitifs, le sens de la formule, la bonne blague, la chute de sa chronique. Celle-ci va revenir à une charcutière : « Eh bien qu’ils essayent avec cette taxe ! On verra bien. Il y aura tous les bouchers dehors. Avec les vegans, ça va être un beau bordel. » Surtout que les bouchers sont armés… « On leur met les pieds de cochon, les oreilles, ça les éloigne ! Les Français broutent, ils ne mangent maintenant que du vert. » Va-t-elle se recycler en maraîchère ? « Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ! »

Il est presque midi, cap sur Radio France, au sixième étage de la Maison ronde, pour gagner les murs de l’émission – non sans avoir déjà plaisanté avec les agents de sécurité, les hôtesses d’accueil, Séverine Bastin, community manager, ou Fabienne Sintes, aux manettes du 18-20 heures. Pièce 6B39, l’équipe est en place. Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, ­surnommés « maman et papa », Sarah Masson, Nathalie Romero et Fabrice Rivaud, tous trois attachés de production, Anne-Sophie Ladonne, réalisatrice, jonglant avec les sons, Frédéric Fromet, coauteur, signant également la chanson détournée du vendredi, Ramzi Assadi, également auteur, et Paul Plumet, stagiaire, dit Paulo, chargé d’un travail de documentation sur les invités. Des invités choisis de façon plutôt collégiale, en alternant les people, des artistes, des auteurs, des personnalités moins connues, des gens de la société civile, des syndicalistes et porte-parole.

Zone d’humour à défendre

À l’entrée du bureau, une affiche donne le ton : « Bienvenue dans la ZHAD – Zone d’humour à défendre. » Ambiance de camaraderie, joutes verbales et plaisanteries. Sur un tableau-calendrier est noté le nom des invités et des chroniqueurs. Ce jour-là, c’est Yves Citton, penseur et universitaire, lui-même se baptisant « Helvète rouge », entouré de Juliette Arnaud et Pablo Mira. Livres et journaux sont empilés un peu partout, au milieu d’un bazar hétéroclite. Lorsque Meurice arrive, le conducteur de l’émission est quasi bouclé. Si « maman et papa » se séparent, s’amuse Guillaume, « on sera tous des enfants de divorcés ».

« Par Jupiter ! » repose sur un travail d’équipe, une aventure collective « où l’on aime à faire les cons ! » Pour ça, ils sont présents. Pas un quart d’heure ne passe sans charrier un membre de l’équipe, se moquer gentiment d’un invité précédent. Avec une comédienne en promo, guère au fait de l’émission, « on a vu ce que c’est que de faire du rodéo sur un cheval mou ! ». À quelques pas de là, dans l’un des studios, Laurent Delahousse est en direct. « Le prix Pulitzer de la coiffure » est habillé pour deux hivers lapons. Frédéric Fromet songe déjà à sa chanson du vendredi, sur un air de Michel Delpech, Guillaume entame le montage de ses entretiens, tisse sa toile. L’ambiance redevient studieuse. Pas longtemps. La déconnade reprend du galon. C’est exactement ça, « Par Jupiter ! » : dix minutes studieuses, vingt minutes foutraques.

© Politis

Au déjeuner, les blagues fusent encore. Le lendemain, la matinale d’Inter reçoit Gérald Darmanin. Au-dessus d’un plat de pâtes, Charline et Guillaume envisagent déjà leur sketch face au ministre des Comptes publics. Il écopera de quelques vérités, dans une justesse accablante, en « rayeur de moquette, fricotant avec Sarko, jeune militant “et déjà vieux” au RPR ». À 14 h 45, on enregistre en studio la vraie fausse conférence de rédaction qui ouvre l’émission. Une conf coécrite cette fois par Sarah Masson et Alex Vizorek. Deux ou trois répétitions, sous la houlette d’Anne-Sophie Ladonne, et c’est dans la boîte. Guillaume Meurice fignole sa chronique, chacun se replonge dans sa partie, avant de repartir dans la récréation. Un ballon vole dans la pièce entre Frédéric Fromet, Paulo et Guillaume. Dans les bureaux voisins, on a l’habitude des éclats de rire, et du mégaphone. Quand vient à passer Laurence Bloch, patronne de France Inter, Meurice lui tape gentiment sur l’épaule : « Allez ma p’tite dame, faut pas rester là, faut rentrer chez vous ! »

Frédéric Fromet en convient, lui qui participe au « Journal de 17 h 17 » avec Alex et à la rédaction du sketch de clôture de l’émission : « C’est un bureau de potes, un bureau de cancres et de potaches. J’y suis surtout pour l’ambiance, même s’il est parfois difficile de se concentrer vu le bordel ! Pour que cela marche, Charline prend beaucoup sur elle. » Et ça marche, à regarder les audiences. Plus d’1,1 million d’auditeurs aux dernières mesures de Médiamétrie, en octobre dernier (1).

À moins d’une heure de l’émission, Pablo Mira débarque dans le bureau avec sa chronique en poche, qu’il affine, relit, répète. On échange encore des blagounettes qui pourraient passer à l’antenne. « C’est une cour de récré, ce qui distingue cette émission de toutes les autres, observe Pablo Mira. La même énergie arrive en studio, c’est conscient ou pas, mais cela reste dans l’esprit du bureau. Avec une qualité au rendez-vous. »

Juliette Arnaud emboîte le pas. Check pour tout le monde. Sa chronique littéraire est déjà ficelée. Comme pour les autres, Guillaume compris, elle n’est pas lue en amont. C’est chaque fois la surprise du direct, celle qui permet l’explosion de rires et laisse la place aux réactions improvisées. « Il existe une confiance mutuelle, inscrite dans un cercle vertueux », confie Pablo. Juliette Arnaud renchérit : « C’est très surprenant, bienveillant et surtout constant entre les trois [Charline, Alex, Guillaume]. Ils ont leurs humeurs et ne les font jamais peser sur les autres. Même chroniqueur, on ne se sent jamais une petite main. C’est à Charline de gérer cette bande de crétins qui a su garder un état d’esprit ado, de gérer les équilibres, avec son exigence d’antenne. » À quelques secondes du direct, jusqu’au studio, la bande de crétins conserve son niveau de dérision, de frivolité et d’espièglerie. « C’est une expérience idyllique, comment espérer mieux ? » glisse Guillaume.

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