La ZAD vivra !

Un an après l’abandon du projet d’aéroport, le bocage nantais n’a pas dit son dernier mot pour préserver sa façon de vivre.

Vanina Delmas  • 16 janvier 2019 abonné·es
La ZAD vivra !
© photo : Manifestation en soutien aux zadistes, le 12 novembre 2018 à Nantes. crédit : SEBASTIEN SALOM GOMIS/AFP

Janvier 2018. Après moult rebondissements, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est abandonné. Une victoire indéniable de la ténacité, de la solidarité des opposants – paysans, zadistes, militants, citoyens solidaires… –, qui ont su unir leurs forces et apprendre les uns des autres pour la cause. Un an plus tard, pour certains, la victoire étant là, la lutte est finie. Mais pour ceux engagés « contre l’aéroport et son monde », la bataille reste vive. En particulier contre la normalisation voulue par les services de l’État. Les habitants de la ZAD, arrivés au gré des envies, des événements, des projets ont construit au fil des saisons un mode de vie alternatif qui ne rentre pas dans les cases de l’administration.

Les discussions entamées au printemps patinent, et les quinze conventions d’occupation précaire (COP) signées – toutes pour des projets agricoles – n’ont pas encore été prolongées. Elles devaient être renouvelées à l’automne, puis début 2019, mais la direction départementale des territoires et de la mer repousse toujours l’échéance. De même, l’état des lieux du taux d’agrandissement des surfaces des exploitants compensés à la suite des expropriations n’a toujours pas été rendu public. Pour Micka, meunier et boulanger à Saint-Jean-du-Tertre, la situation n’a pas bougé d’un iota depuis la dernière fois que Politis l’a rencontré en juillet (Politis n° 1513). Les terres qu’il demande appartenaient à d’anciens agriculteurs, indemnisés lorsqu’ils ont vendu en prévision du projet d’aéroport, et qui sont revenus récemment dans la course. « La préfecture voudrait qu’on s’arrange à l’amiable avec eux, mais pour le moment ce n’est pas en discussion, glisse Micka, un peu amer. Ce serait une solution ou alors il faudra trouver du foncier ailleurs, partir en dehors de la ZAD… »

La forêt à l’honneur

Depuis 2014, le collectif Abrakadabois préserve les 42 hectares de la forêt de Rohanne ainsi que les parcelles boisées et les haies grâce à la sylviculture douce. Les habitants ont ainsi développé une filière en circuit court, « de la graine à la charpente ». Mais la forêt fait partie des projets non agricoles dont l’étude a été reportée par la préfecture, précarisant encore les activités forestières du collectif et toutes celles qui en découlent (bois de chauffage, de construction, menuiserie, artisanat, sciure pour les toilettes sèches…). Le week-end des 16 et 17 février, la forêt sera à l’honneur sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Bûcherons, amoureux des arbres, charpentiers, naturalistes… Tous pourront participer à des balades, des discussions, des ateliers qui permettront d’élaborer des pistes « pour répondre à une question simple mais vaste : quels usages de la forêt et comment en prendre soin aujourd’hui face à l’offensive de la valorisation capitaliste ? »

La question du foncier n’a pas fini d’électriser les discussions. Le 18 décembre, le préfet et le président du département Loire-Atlantique ont trouvé un accord à hauteur de 950 000 euros concernant la rétrocession de 895 hectares, des terres et bâtis dont le département était propriétaire avant 2008, date de la déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport. « Mais cela ne concerne pas toute la zone : il reste des propriétaires qui n’ont pas encore fait savoir s’ils veulent la rétrocession de leurs terres ou pas. Le discours affirmant que la ZAD est vendue est faux ! » s’indigne Geneviève Coiffard, militante et soutien infatigable des habitants de la ZAD. Pour ces derniers, « l’État a, sans surprise, fait le pari de la facilité, plutôt que de favoriser la poursuite d’une expérience singulière qui tente de répondre de manière créative aux enjeux climatiques, agricoles et sociaux actuels ».

Depuis plus d’un an, les méninges s’agitent dans le bocage pour imaginer une solution légale permettant de faire des acquisitions tout en garantissant l’esprit de la ZAD : un fonds de dotation nommé « La terre en commun » (1). « L’assemblée des usages voulait quelque chose où il n’y a pas de parts, pas d’actions, pour éviter la gestion spéculative des terres et le retour à la propriété privée, précise Geneviève Coiffard, membre du bureau. Il a été pensé en lien avec notre souci de préserver ce qui s’expérimente depuis des années sur ces terres et qui n’est plus de l’utopie : la pratique des communs. »

« Défendre la terre commune » est également le mot d’ordre de la toute nouvelle association NDDL Poursuivre ensemble. Le 30 juin 2018, une AG extraordinaire de l’Acipa a donné lieu à la dissolution de l’association historique d’opposition au projet d’aéroport. Si des opposants de la première heure tels que Julien Durand ou Dominique Fresneau ont décidé de s’éloigner, un noyau d’irréductibles, souvent arrivés dans la lutte au moment de l’opération César en 2012, n’ont pu se résoudre à abandonner le nouveau combat d’ampleur, déjà amorcé. Ils ont donc créé une nouvelle association qui compte plus de 700 adhérents. « Nous soutenons les porteurs de projets de la ZAD autant que possible, nous sommes fortement impliqués dans les diverses commissions – habitat, foncier… – et nous avons aussi repris la place de l’Acipa dans les négociations avec la préfecture », explique Joël Quélard, l’un des coprésidents. Leurs requêtes auprès de l’État sont précises. « Une charte de la biodiversité, notamment pour empêcher la destruction des haies, un gel des terres pour garantir l’installation de nouveaux projets avec l’esprit de la ZAD, et des baux sur les terres et les habitats pour que les installations deviennent enfin pérennes », détaille Joël Quélard.

L’une des batailles à venir concerne l’habitat. Les cabanes émergentes derrière des arbres, les maisons et lieux de vie collectifs fabriqués de A à Z avec des matériaux de récupération, ou selon les techniques écologiques de BTP (Bois-Terre-Paille) ont construit l’imaginaire de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Mais se sont aussi heurtés au carcan administratif et aux bulldozers. Le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) de la Communauté de commune d’Erdre et Gesvres en cours donnera les orientations à suivre pour les constructions de la zone, mais la ZAD en a été exclue. Des habitants ainsi que des architectes, urbanistes, paysagistes se sont emparés de cette question qui est au cœur de la pérennisation de l’expérience. 

Dans une initiative audacieuse de pédagogie hors les murs, l’architecte et paysagiste Christophe Laurens a emmené les étudiants du master Alternatives urbaines de Vitry-sur-Seine dans le bocage pour observer comment ces dizaines de personnes habitent véritablement ce milieu sensible. Des témoignages et croquis réunis dans un livre au nom éloquent : Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre (2). « Les habitants de la ZAD brassent beaucoup de choses d’un coup et posent des questions essentielles au quotidien : comment et avec quoi construire ? Comment cultiver ? Que faire de la forêt ? Que mange-t-on ? Comment s’entraider ? Quelle est la place de l’argent ? Est-ce qu’il y a propriété privée ou pas ? Tout cela se matérialise dans un paysage anthropisé qui est le reflet de la manière dont la communauté habite ce territoire », décrit Christophe Laurens, qui fait partie du collectif Défendre-Habiter. Pour lui, la richesse de la vie sur la ZAD est dans l’air du temps, et permet de redéfinir les frontières entre monde rural et ville. « Ils montrent ce que pourraient être les campagnes et leurs ressources, en permettant au monde rural de retrouver une vitalité qui ne soit pas uniquement agricole grâce aux lieux comme la bibliothèque le Taslu, décrypte-t-il. Ils travaillent à une alternative à l’agriculture intensive, mais aussi à la ville intensive, qui sont toutes les deux gorgées d’énergies fossiles, et qui mènent au désastre. »

Les fronts de bataille sont encore nombreux mais tous travaillent pour que la philosophie de la ZAD soit préservée et diffuse partout, que ce soit au sein des comités de soutiens NDDL et des autres luttes contre les grands projets inutiles, comme le GCO Strasbourg. Maîtriser la communication et faire passer les bons messages seront des leviers pour faire intelligemment pression sur l’État. « Il faut enfoncer le clou, nous avons besoin de relais, clame Geneviève Coiffard. Nous n’avons certainement pas fait tout cela pour que ces terres retournent à l’agriculture intensive et la propriété privée ! » La zone et son monde sont toujours à défendre.

(1) www.encommun.eco

(2) Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre, Patrick Bouchain, Christophe Laurens, Jade Lindgaard, Cyrille Weiner, éd. Loco, octobre 2018.

Écologie
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